Lettre de pâques 2020 aux frères du monde entier. Éric LOZADA

Philippines, 12 avril 2020

Je suis ressuscité et je suis toujours avec toi, Alléluia. (cf. Ps 139, 18)

Frères bien-aimés,

je vous écris de mon ermitage, en quarantaine comme beaucoup d’entre vous. Cette clôture imposée est une excellente invitation à l’adoration quotidienne, à la méditation de l’Évangile, à la journée de désert, à la révision de vie, à la prière pour le monde, en particulier les pauvres, avec fidélité, intensité et application. Une vie de qualité de solitude et de prière est notre humble acte de charité pour notre monde en cas de pandémie.

En regardant par ma fenêtre, je perçois les signes d’une nouvelle vie de la nature. C’est sec et humide ici, mais les oiseaux jouent et chantent leur unique répertoire de chansons, les papillons volent doucement de fleur en fleur à la recherche de nectar, les arbres sont verts et donnent de l’ombre malgré la lourde chaleur. C’est merveilleux, comme la nature a sa propre façon d’annoncer la résurrection ! Pas de soucis, abandon total à Dieu qui s’occupe d’eux. Nous, les humains sommes censés être une race supérieure à cause de notre raison, mais la même chose a systématiquement affaibli la confiance en Dieu au jour le jour et nous comptons davantage sur notre pensée égoïste. Cette même pensée a été la cause de la violence, de la haine et de la méfiance. La résurrection offre le pardon, l’amour et la confiance. Le monde doit choisir.

Nous sommes en quarantaine communautaire renforcée jusqu’au 3 mai, mais les prêtres reçoivent des laissez-passer pour les œuvres liturgiques et caritatives. Je l’utilise tous les jours pour rendre visite à des personnes où je suis invité à accompagner les mourants et les familles en deuil, à faciliter le dialogue dans les familles, à donner de la nourriture et de l’argent à ceux qui ont été licenciés. Quelqu’un m’a exhorté à être avec les gens dans leur impuissance, surtout parce qu’ils ne pouvaient pas aller à l’église et prier. La Présence apportée par ma présence est pour eux un baume apaisant de réconfort. J’ai cependant fait très attention à suivre les protocoles d’hygiène et d’éloignement afin de ne pas nuire davantage à la communauté. Ce matin, mon ami Lemuel est venu à l’ermitage très affamé, le regard hagard, demandant de la nourriture pour ses 4 jeunes enfants affamés. Lemuel a été licencié. En lui remettant quelques vivres, je suis béni par sa joie mais je ressens aussi l’incertitude dans ses yeux.

Après la prière de ce matin, je jette un long coup d’œil à la carte affichée sur mon mur. Mes yeux sont fixés sur les quatre continents d’Afrique, d’Europe, d’Asie, des Amériques. Le virus est en effet un grand égalisateur, car les pays riches et pauvres souffrent du même sort. Je vois des visages de médecins, d’infirmières, de patients, de leurs familles, inquiets, effrayés mais luttant pour la vie. (Pendant que j’écris, on m’informe que ma sœur qui travaille comme infirmière aux États-Unis est testé positif au Covid. Sa famille est maintenant à risque).

Le monde vit sa passion. Je vois des visages d’impuissance, d’inquiétude, de peur, de tristesse, de haine, de violence partout sous de multiples déguisements. Je m’interroge : quel est le message du Christ ressuscité à notre monde aujourd’hui? Qu’est-ce que Dieu nous invite à voir? Où nous mène-t-il? Est-ce que la résurrection signifie qu’il nous sauvera de tout cela? Quelle est la réponse de Dieu à son peuple en cas de pandémie? Comment entendre le doux message de la résurrection au milieu des nouvelles accablantes de mort, de souffrance, de conflit? Où est le chemin de l’espoir et d’une nouvelle vie en cette période difficile?

Frères, veuillez souffrir avec moi de ces questions. J’ai besoin de vous, nous avons besoin les uns des autres, les gens ont besoin de nous. La résurrection n’est pas une joie bon marché ni des mots doux pour nous sauver de nos souffrances. Nous devons tendre nos oreilles et élargir nos cœurs pour entendre le Message. Nous luttons avec Dieu pour des réponses même si sa réponse est cachée dans Son silence.

Je trouve que la lecture du récit de la résurrection selon saint Jean de cette année est un Kairos. Certains détails de Jean pourraient nous aider à voir et à entendre le Message. Comme je ne suis pas très bien formé en herméneutique biblique, je m’appuie sur une réflexion priante du texte. Soyez généreux s’il vous semble naïf.

Permettez-moi de souligner seulement trois choses. Premièrement, Jean parle de la résurrection comme ayant lieu «le premier jour de la semaine, alors qu’il faisait sombre» (Jean 20, 1a). La résurrection jaillit des fondements mêmes de notre humanité et du monde, dans l’obscurité de l’ignorance. Cela nous rappelle la Genèse lorsque le monde était sombre et sans forme et que l’Esprit planait au-dessus des eaux sombres. Alors Dieu dit: « Que la lumière soit et la lumière fut » (Gn 1, 2-3).

Aujourd’hui, le monde est dans l’obscurité de la pandémie. L’avenir semble même plus sombre pour beaucoup. Comment les entreprises, le gouvernement et le peuple vont-ils récupérer? Notre planification stratégique, nos prévisions optimistes, trouvent-elles le remède et assez de lumière pour nous donner un avenir radieux? Au milieu d’une obscurité totale où les fondations du monde semblent ébranlées, le Christ, la Lumière éclate. Peut-on voir? Voir ne vient pas de notre logique humaine car la même chose est facilement vaincue par les ténèbres. La lumière vient du Christ ressuscité. Dieu va-t-il nous sauver de ce mal? Pas du tout, car le mal fait ce qu’il fait. Dieu sauve. Il confirme finalement la vertu, la bonté, la fidélité pendant que nous traversons le mal et la souffrance, tout comme ce qu’il a fait à Jésus. Finalement c’est Dieu et le Christ ressuscité qui contrôlent et non le mal et la mort. C’est notre credo. Nous devons simplement faire confiance à sa vérité et la vivre au jour le jour.

Deuxièmement, Jean souligne que Marie de Magdala fut la première à voir le tombeau ouvert. (Jn 20, 1b) Elle était triste parce qu’elle ne pouvait pas encore faire le lien entre le tombeau ouvert et la résurrection. Ce n’est qu’après avoir pleuré qu’elle a vu le Ressuscité (cf. Jn 20, 11 ss). C’est une invitation pour nous à voir notre réalité à travers la lentille douce du féminin – dans la tristesse et dans les larmes. Les deux préparent le cœur à une véritable vision. Il y a beaucoup de choses dont nous sommes tristes aujourd’hui à propos de notre réalité. Nous sommes en larmes parce que d’une manière ou d’une autre, nous faisons partie de ce monde blessé, brisé et violent et à bien des égards, nous avons contribué à sa violence et à ses blessures.

Enfin, Marie a rapporté à Pierre et Jean ce qu’elle avait vu. Pierre et Jean l’ont vu par eux-mêmes. Pierre a vu. Jean a vu et cru. Ils ne comprenaient pas encore tous le sens de la résurrection (cf. Jn 20, 2-9). Ce détail nous apprend que pour expérimenter une nouvelle vie, nous devons aller à la rencontre les uns des autres et marcher ensemble en tant que communauté de chercheurs de vérité. Notre réalité est une vision partagée et personne ne monopolise le tout ou absolutise sa part du tout. Chacun y contribue. Chacun croit que l’autre a quelque chose à apporter. La vérité nous rend humbles, car au lieu de la posséder, elle nous possède. Cela nous dépasse toujours. Nous avons donc besoin de la contribution de chacun. La vérité est un cadeau gratuit révélé à une dynamique communauté de pèlerins qui cherche avec espoir. Malheureusement, dans notre monde postmoderne, le pouvoir est confondu avec la vérité. Ainsi, on devient arrogant de sa part et absolutise sa part comme toute la vérité. C’est la même mentalité qui crée la guerre et la violence. La résurrection donne la paix et le pardon. Nous devons choisir.

Frères, nous continuons aujourd’hui à partager notre recherche de la vérité dans le Seigneur ressuscité dans la solitude de notre prière et dans nos activités fraternelles et missionnaires. Frère Charles nous montre le chemin et marche également avec nous, dans notre désir de suivre Jésus de Nazareth, d’être un frère pour tous, de vivre Nazareth, d’être présent aux pauvres, de réviser nos vies, de crier l’Évangile avec nos vies, pour sentir comme les brebis dans notre mission vers les périphéries, pour vivre l’Évangile avant de prêcher. Telle est notre spiritualité en tant que prêtres diocésains sur les pas du frère Charles. C’est aussi notre cadeau à notre monde et à notre Église aujourd’hui. En tant que cadeau, ce n’est pas un mérite mais nous devons constamment réajuster le cadeau par la pratique. Ici, nous sommes tous débutants et compagnons de lutte mais ensemble, nous nous encourageons mutuellement à continuer de retourner à notre pratique.

Mon humble prière pour chacun de vous. Priez aussi pour moi.

Eric LOZADA

(Traduction de Honoré SAVADOGO)

PDF: Lettre de Pâques 2020, Eric LOZADA, frère responsable, fr

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Retraite fraternité Pâques, 16 Avril 2020

Fraternité Sacerdotale Iesus Caritas. Espagne.

RETRAITE DE PÂQUES 2020

LA VIE POUR LE FRÈRE CHARLES
Une vie libre

DEUXIÉME JOUR,
Jeudi, 16 avril

En ce deuxième jour de retraite de Pâques, nous savourerons la liberté des enfants de Dieu. Le Christ ressuscité nous donne la liberté; celui qui était enfermé est maintenant libre comme le vent. Aucun poids ne vous attrape ou un bandage vous empêche de marcher. Frère Charles n’est lié qu’à la volonté de Dieu, la volonté qu’il découvre dans ses recherches et son imitation de Jésus: «Pour croire que vous devez vous humilier, vous devez être petit, vous devez avouer que vous avez peu d’esprit, admettre une quantité des choses qui ne sont pas comprises…”. Charles de FOUCAULD, «Écrits spirituels». En ces jours de “confinement de Pâques”, nous pouvons découvrir la grandeur et la petitesse du monde où nous sommes. Notre communication avec l’extérieur se réduit à nous accueillir «à la japonaise» et à utiliser des appareils électroniques. Les câlins nous manquent et pourtant nous ne cessons de ressentir l’affection de Dieu lui-même et des frères.

Il est temps de réfléchir à toute cette situation. L’ostensoir à vide du frère Charles peut nous en dire long sur tant d’absences, sur tant de fois que nous nous sommes sentis loin de Dieu, des gens ou de notre propre être intérieur. Nous pensons que Jésus n’est pas là, car nous le cherchons dans un tombeau vide. L’absence de Dieu chez tant de personnes nous rend tristes et nous voudrions le rapprocher de Jésus qui n’a cessé de les aimer, de les chercher, de les embrasser. Des absences parfois remplies de rêves ou de fantasmes artificiels et inutiles. Dieu est un Dieu des vivants, a dit Jésus, et c’est un Dieu qui nous donne la liberté, malgré notre moment présent de «nous tenir debout» ou de nous enfermer à la maison. Bientôt, nous pourrons dire “libérez le détenu”. Rien ne va nous empêcher de nous étreindre et de nous saluer à nouveau comme nous l’avons toujours fait. En ce moment, Jésus ne garde pas ses distances et nous embrasse quand nous l’adorons, son amour est plus fort que les limites que nous avons maintenant à vivre.

Le samedi saint a été une journée désert pour moi. C’est, peut-être, le jour le plus approprié de l’année pour le vivre ainsi, jusqu’au moment de la Veillée Pascale. Un désert qui peut être une répétition de ce qui se vit au quotidien, mais qui m’a une fois de plus placé dans l’immensité de Dieu, de son appel, de son invitation à se sentir libre au moment de Nazareth, qui est celui de l’enfermement. Le désert, qui nous fait nous retrouver vides de tout et attendre tout du Seigneur. L’Assekrem avec les quatre murs, le jardin, le verger, la rue ou le champ que l’on voit de la fenêtre …

Comment nous identifions-nous à ce Christ vivant et libre dans notre mission? “Nous n’avons pas l’obligation de faire constamment l’aumône, le conseil ou la prière, mais nous devons donner un bon exemple, d’autant plus que nos œuvres sont connues, même si nous pensons que nous sommes complètement seuls …“, Charles de FOUCAULD, ” Écrits spirituels ». Notre mission, être avec les gens dans leurs moments difficiles, dans la vie quotidienne de leur vie; nous permettant aussi d’envahir par son humanité, par sa joie ou sa tristesse, ses choses apparemment insignifiantes, sa voie partagée et sa foi ou son absence, est la mission où Jésus nous envoie. “Jésus, avec son œuvre rédemptrice, nous a redonné la liberté, la liberté des enfants” (Pape François). Le Christ nous donne la liberté de tout quitter, de mettre du temps de côté, la condition d’être une personne consacrée, l’image sociale que nous avons, de dire oui à la personne qui a besoin de nous, à qui nous pouvons faire du bien, sans “conseils des prêtres”, sans être fonctionnaires de la liturgie ni des sacrements. Peu importe les formes externes; la chose importante est l’amour que nous mettons.

«Jésus est venu non seulement pour changer le cours naturel de la vie physique, mais pour y insuffler un nouveau sens avec la force de son Esprit et la puissance de sa parole, transmettant aux êtres humains une espérance toujours vivante, source inépuisable de vérité joie. La pierre tombale que les disciples de Jésus doivent retirer est énorme et lourde, car la dalle de la mort continue d’enterrer aujourd’hui des milliers de morts dans la pandémie mondiale de coronavirus et les masses de pauvres et de marginalisés dans notre pays.» José CERVANTES GABARRÓN, (prêtre du diocèse de Carthagène, Espagne, dans une homélie de Carême). Compte tenu de la diversité des appels que nous recevons, des messages qui débordent nos appareils électroniques ces dernières semaines, répondons avec joie de Pâques. Beaucoup de gens ont besoin de nous – simplement – pour savoir que nous sommes là, que nous sommes plus importants pour eux qu’une masque chirurgical Ils savent que notre visage et nos mains ne se répandent pas plus que l’amour de Jésus, et nous savons que son peuple est aussi un chant de louange pascal, d’action de grâces. Nous devons donc remercier les gens. Un par un, avec son visage et son nom, devant Jésus en adoration, mettant à ses côtés ceux que nous ne voyons pas, mais que nous ressentons.

«La personne qui aime est ouverte aux peines des autres et ressent des impulsions vers la compassion et l’aide, parce qu’elle ressent l’unité avec les affligés. Il réconforte chaque personne que vous voyez souffrir. Il sait qu’il fait corps avec l’énergie originelle à laquelle tout participe. Cela se produit simplement lorsque nous nous ouvrons et entrons en contact les uns avec les autres avec pitié.» Willigis JÄGER, «Où notre désir nous mène. Le mysticisme au 21e siècle », Desclée de Brouwer (Willigis JÂGER a fêté ses Pâques en mars dernier)

Pâques nous donne la joie d’être sauvé, la liberté d’être heureux, l’espoir d’un monde plus positif, d’apprécier l’effort et le travail de nombreuses personnes qui laissent leur peau aux autres. Remercions Dieu pour ce Jésus libérateur, petit dans les petits et très grand dans nos cœurs.

Bonnes et joyeuses Pâques à tous.

PDF: Retraite fraternité Pâques, 16 Avril 2020. fr

(Español) Retiro fraternidad Pascua, 15 abril 2020

Fraternité Sacerdotale Iesus Caritas. Espagne.

RETRAITE DE PÂQUES 2020

LA VIE POUR LE FRÈRE CHARLES
La vie du dernier

PREMIER JOUR.
mercredi, 15 avril

Relisant le Cantique des Philippiens (Flp 2,6-11), que nous avons approfondi en ces jours de la Semaine Sainte, et prié avec lui, nous nous tenons avec frère Carlos dans son apprentissage d’abandon, en tant que disciple qui apprend de son maître: “Il est descendu: il est descendu toute sa vie, descendant quand il s’est incarné, descendant quand il est devenu un petit garçon, descendant obéissant, descendant devenant pauvre, abandonné, exilé, persécuté, exécuté, se mettant toujours à la dernière place». Charles de FOUCAULD, «Écrits Spirituels».

L’aristocrate devient serviteur, le seigneur du château va vivre au village, il retire son titre et devient frère. Comment pouvons-nous comprendre la dernière place si nous restons à la place habituelle ou même essayons de grimper, grimper des positions? Combien de fois nous trompons-nous en pensant que nous sommes déjà humbles?

L’imitation de Jésus, comme l’enseignement de Charles de FOUCAULD et le désir constant de sa conversion, nous savons qu’elle consiste à prier, à travailler, à aimer, à accompagner, à pardonner, comme Jésus l’a fait, et aussi à être heureux comme il était, en montrant la miséricorde du père, dans chaque geste, chaque mot. “La miséricorde n’est pas fabriquée: elle est reçue. Le don de Dieu n’est pas acheté, n’est pas vendu, ne renvoie pas l’appel. Donnez gratuitement sans rien attendre, sans que personne ne perde espoir. Prendre le risque d’aimer jusqu’à la fin”. Jacques GAILLOT en “Heureux le miséricordieux”, 10 septembre 2016 en iesuscaritas.org

Certes, nous vivons ces jours de «vivre dans le caché», confinés, sans rien à notre ordre du jour, avec les voiles de nos navires repliées, en attendant un vent favorable, un style Nazareth très spécial.

L’appel à être missionnaires doit être en permanence dans nos cœurs; ne pas participer à la vie des gens, rendre visite aux malades, recevoir des amis et des personnes qui viennent chez nous, et tant de choses que nous ne pouvons pas faire pendant cette pandémie, peut nous aider à revoir le sens de la mission. Il est très probable que nous manquions aux autres, comme nous nous manquons dans une situation normale. Nous sommes devenus les derniers par imposition. Nous devons être les derniers parce que notre Maître a été fait de cette façon, et c’est ainsi que nous l’apprenons tous les jours.

Tout cela nous rend plus conscients des réalités de notre monde. Nous vivons dans une Europe confortable et chancelante, une Europe refermée sur elle-même: «L’Europe des peuples est sur le point de se construire. C’est le sens de l’histoire. Sacrifier les hommes pour l’économie, en laissant de côté les pays du tiers monde, ne deviendra pas l’Europe des peuples. Quel sera l’avenir des communautés d’immigrants? Il me semble dans le traité de Maastricht que les immigrés paient le canard pour une Europe forte qui donne un peu plus de hauteur à ses murs.» Jacques GAILLOT, “Je prends ma liberté …”, Nueva Utopía

Cette Europe, qui va souffrir d’une crise économique dont nous ne connaissons pas encore l’ampleur, qui va être la crise humanitaire de tant de gens – qui est vraiment le monde des derniers, ceux qui ont toujours été les derniers – apprendra à être dans leur au contraire, savoir mieux écouter, appliquer une politique de regarder moins le nombril et de regarder le monde sans crainte. Quelque chose comme ça peut arriver en Amérique du Nord … Et, en tant qu’Église, nous pourrions dire la même chose.

Du petit, qui a toujours été sans importance au plus riche, frère Charles construit un rêve. C’est quelque chose qu’il n’a pas vu se réaliser, comme une utopie inaccessible – un défi du Royaume – et pourtant, nous l’apprécions, car cela nous aide dans nos vies à vivre simplement, à partager, à être fraternité, à ne pas regarder personne au-dessus de nous, pour ne pas être soumis à une consommation féroce, ou en tant que prêtres, pour célébrer la foi du peuple, dont nous faisons partie, sans chichi ni rituels compliqués, faisant partie de l’histoire de la vie des gens parce qu’ils sont important pour nous. “En solidarité avec les pauvres. Cette Pâques a sa propre couleur. Notre ambiguïté personnelle apparaît un peu plus clairement éclairée par les pauvres. Certains qui marchent avec Jésus sont déconcertés par les paroles de dénonciation et la revendication de leurs droits et, par conséquent, ils veulent faire taire la voix des pauvres et de ceux qui sont solidaires avec eux. Les opprimés ont aussi peur de mourir dans le désert comme les Juifs, et ils nous demandent ce que nous avons. L’histoire, avec ses revers et ses ténèbres, nous amène à perdre de vue le Dieu qui semble perdu et loin sur la montagne, tandis qu’à côté de nous, des idoles d’urgence en or brillant sont faites.” Benjamín GONZÁLEZ BUELTA, “Descendez à la rencontre de Dieu. La vie de prière parmi les pauvres”, Sal Terrae

Pâques, cette Pâques dans la solitude, à Nazareth domestique, est l’occasion de profiter à nouveau des petites choses, des bonnes nouvelles, des amis ou de la famille qui nous manquent.

Pâques nous place dans le cadre de la joie des petits, des derniers, où Jésus est toujours présent, avec sa porte ouverte pour être invité à la table des pauvres, ou le rideau tiré car il n’y a pas de porte. Ne passons pas, pensant à de meilleurs endroits. L’adoration de Jésus est maintenant cette humble maison où être avec lui, avec tous les pauvres du monde, devant lesquels nous n’avons pas besoin de paroles.

Faisons maintenant un temps d’adoration. Ne pas penser à ce que j’ai écrit, mais regarder Jésus, celui qui est devenu le dernier et qui était le Bien-aimé du frère Carlos.

Pour notre revue de vie::

1 Est-ce que je vis ma vie plus (temps, travail, disponibilité, ressources personnelles, potentialités …) pour moi-même qu’en fonction de mon être missionnaire, de mon dévouement aux autres? Pourquoi et de quelles manières?

2 Dans l’isolement et la pandémie que j’ai vécus, qu’ai-je appris de ma propre expérience intérieure et des expériences, des valeurs, de la douleur, de la vie et de la mort de l’extérieur?

3 Pâques, comme toutes les bonnes nouvelles annoncées aux pauvres, dans quels aspects, attitudes ou approches de ma vie est une conversion, un changement, un appel? Puis-je l’imaginer ou le vis-je?

PDF: Retraite fraternité Pâques, 15 Avril 2020, fr

Retraite fraternité Pâques , 14 Avril, 2020

Fraternité Sacerdotale Iesus Caritas. Espagne.

RETRAITE DE PÂQUES 2020

LA VIE POUR LE FRÈRE CHARLES

INTRODUCTION,
mardi, 14 Avril, soir

De cette manière télématique, cette retraite pascale, – rencontre entre frères et moment contemplatif pour célébrer Jésus Ressuscité – je vous propose des réflexions et une invitation à l’adoration, le Christ, le pain et le vin, libéré de la mort et de la dalle, promeneur, pèlerin avec nous en cette période difficile de l’humanité … Christ Vivant nous invite aujourd’hui à passer ces trois jours en retraite joyeuse avec des êtres humains qui ont dans leur vie l’espoir d’un monde meilleur. Grâce à lui, nous avons été sauvés de la croix. Grâce à lui, nous sommes motivés à continuer dans l’œuvre du Royaume. « Tout appartient à Dieu … Nous lui devons tous les moments de notre vie. Notre être et notre existence: faisons tout pour Dieu ». Charles de FOUCAULD, «Écrits Spirituels».

De notre frère Charles, avec tous les aspects et facteurs de sa vie, ses intuitions et ses contradictions, savourons la vie, comme celui qui savoure ce qui est petit et simple, qui est vraiment pauvre. Il s’est laissé retrouver le matin de la Résurrection et sa joie vient à nous, qui essayons de vivre son charisme comme des hommes de foi.

Faisons de cette Pâque un espace de joie, de rêves – les rêves du frère Charles – de vie et de vie à chaque instant, avec l’espoir de ceux qui rêvent d’un nouveau monde et des souffrances, les propes et celles de l’humanité, ils ne sont pas un obstacle: «Si la tristesse vous invite un jour, dites-lui que vous avez déjà un engagement à la joie et que vous lui serez fidèle toute votre vie. Là où il y a de la vérité, il y a aussi de la lumière, mais ne confondez pas la lumière avec le flash. » (Pape François)

La joie n’est pas toujour rire, ni le produit d’un triomphe personnel. La joie des disciples de voir le Seigneur, ainsi que la crainte de «ce qui va arriver maintenant». C’est la joie du frère Charles qui se réunit tous les jours à Nazareth, à Beni-Abbès ou à Tamanrasset avec des gens dont il apprend une langue, une manière de raconter, une écoute, comme au Maroc il a trouvé foi dans la les musulmans qui lui ont transmis la grandeur de Dieu. Ce ne sont pas de bons moments, ni politiquement ni économiquement pour le monde; la misère et les épidémies ont également frappé de nombreux pays, de différentes manières et avec des conséquences divers, comme la Première Guerre Mondiale, le pillage des ressources dans les colonies occidentales en Afrique, en Asie… Quelle pandémie plus grande que l’égoïsme des les puissants? Y a-t-il un vaccin pour ça?

J’ai dû refaire tout ce qui était préparé pour ces jours avant la situation actuelle et, de façon réaliste, nous ne pouvons pas laisser de côté la situation de notre monde, celle la plus proche de nous, ou celle qui ne nous touche pas de près. C’est une Pâques très spéciale, car je crois que jusqu’à présent nous n’avions pas vécu. Malgré tout, vivons-la comme l’Église et notre être profond nous invitent, comme nous sommes chacun de nous.

Surtout pour moi, en ces jours de Pâques, nos frères qui ont déjà célébré leur pleine Pâques récemment seront dans mon cœur: Manolo BARRANCO, Mariano PUGA, Michel PINCHON, Margarita GOLDIE, Antonio L BAEZA … autant de frères et soeurs ressuscités ..

Revenons en ces jours pour nous laisser surprendre par la Bonne Nouvelle du Jésus Ressuscité, de celui qui est vivant dans l’humble, dans les hôpitaux, les bidonvilles, les prisons, les villages sans lumière ni eau dans tant d’endroits du monde; de ce Christ qui a traversé la croix, mais qui n’est pas passé du peuple; Celui qui, parmi tant d’hommes et de femmes qui, au cours de ces mois, travaillent pour nous, nous libère de la peur et nous tend la main.

Nous nous mettons donc en présence de Dieu, sans oublier la présence de douleur, d’espérance et de bonheur. Nous nous mettons entre ses mains, alors que nous prions dans la Prière d’Abandon, et nous le prions … “Mon Père, je m’abandonne à toi …”

Avec tout l’amour de nos cœurs, avec une confiance infinie, continuons à croire en la vie, en commençant cette retraite de Pâques.

“Partout où je vis et où la vie jaillit de moi, je verrai le Ressuscité et j’expérimenterai Dieu..” Anselm GRÛN, “Chercher Dieu dans la vie de tous les jours”, Narcea.

PDF: Retraite fraternité Pâques , 14 Avril, 2020 fr

Le Covid19. Jacques GAILLOT

(Interview dans la revue Golias)

1 – Comment avez-vous vécu l’annonce de la pandémie du Covid-19 ?

Je me suis senti en communion avec la douleur de l’humanité. Douleur d’un drame qui franchissait les frontières et allait frapper partout. Moment rare où l’humanité se découvrait en communion. Il est plus facile de vivre en communion dans la douleur que dans le bonheur.

Cette terrible épreuve nous rappelle notre fragilité, notre finitude. Nous sommes tous vulnérables. Les grandes puissances mondiales ont des pieds d’argile. Personne ne peut se dire à l’abri de ce virus. C’est une invitation à prendre soin de la vie et de l’humain avec tendresse.

2- Comme citoyen et évêque de Partenia, vous qui cheminez au côté des plus démunis, quelles sont les fragilités que cela a mis en lumière de manière un peu plus singulière ?

Les plus démunis se sentent les oubliés de la société.

Ceux qui vivent et dorment dans la rue s’étonnent d’entendre : « Je vous demande de ne pas sortir de chez vous. Restez-chez vous ».

C’est vrai pour les familles qui habitent dans des taudis. Comme pour cette femme qui vit dans une petite pièce humide avec des cafards. Elle a deux jeunes garçons pleins de vie. Cette femme a dû arrêter son travail pour s’occuper de ses enfants. Les journées sont longues !

C’est vrai pour des étrangers sans papiers. Comment éviter la promiscuité quand on est entassé dans un dortoir avec des lits à étages ? C’est le cas pour le foyer des sans-papiers de Montreuil.

C’est vrai pour des détenus dans des prisons surpeuplées où il arrive qu’ils soient 4 ou 5 dans une même cellule.

Ceux qui sont à la rue se retrouvent seuls. Ils ne peuvent plus faire la manche. Il n’y a plus personne pour s’arrêter et parler avec eux. Les bénévoles des associations sont confinés.

La seule attitude qui puisse libérer les plus démunis, c’est avant tout la reconnaissance de leur dignité.

3 – Qu’avez-vous pensé de cette annonce qui d’un côté ferme les bars et restaurants et assure la continuité de l’ouverture des lieux de culte ?

En ce temps de carême, il y a une prière à Dieu qui m’enchante : « Fais nous quitter ce qui ne peut que vieillir, fais-nous entrer dans ce qui est nouveau. »

Précisément, en cette période singulière, il y a un déplacement des lieux de culte vers les lieux de vie.

Nos regards se portent vers les malades du Covid-19 hospitalisés avec leurs souffrances et leurs difficultés à respirer. Tous les soins qui leur sont donnés de jour comme de nuit évoquent la parole de Jésus : « C’est à moi que vous l’avez fait. »

Les équipes de soignants qui se dévouent auprès des malades sont une présence réelle. Présence indispensable avec leurs gestes d’humanité qui peuvent sauver la vie.

Ils portent une lumière qui nous éclaire dans notre nuit au point que chaque soir nous les applaudissons de nos fenêtres.
Ces blouses blanches qui se donnent sans compter au risque d’être contaminés à leur tour, révèlent le sens de la passion du Christ : l’amour vécu jusqu’au bout malgré le déchainement du mal.
Ces lieux de vie sont précieux. Ils sont nombreux à exister. Entrons dans ce qui est nouveau : l’humain d’abord !

4- Au regard de ce que nous vivons et qui est inédit, quel regard portez-vous sur la société dans laquelle nous vivons ?

Le domaine de la santé est un révélateur de la société. Le fonctionnement des hôpitaux et des EPHAD nous renvoient une image de la société.

Pendant l’année écoulée, les personnels de santé sont descendus dans la rue pour manifester leur colère. Ils ont dénoncé le manque de personnel, la détresse des urgences, le manque de moyens…Au cours d’une manifestation au mois de novembre, une banderole exprimait bien leur ras-le-bol : « L’Etat compte ses sous, on comptera nos morts. »

Ces cris ont-ils été entendus ? Une société qui n’a pas assez d’argent pour son service de santé, peut s’interroger. Son image est pour le moins écornée.

Avec la pandémie, le formidable effort de solidarité entre les hôpitaux, entre les hôpitaux publics et privés, entre les hôpitaux de différents pays, est exemplaire. Le dévouement des personnels soignants, aidés par tous ceux qui avaient repris du service, forcent l’admiration. Tous ensemble, ils réussissent à faire face à la situation. Quelle belle image restaurée du service de santé !

Mais quand nous serons sortis de l’épidémie, le service de santé bénéficiera-t-il de ce qu’il est en droit d’attendre de l’Etat ?

Depuis des années je vais dans des prisons. Chacune me renvoie une image de la société. Grâce à la pandémie du Covid-19, on emprisonne beaucoup moins, et on fait sortir beaucoup plus de prisonniers. N’est-ce pas une bonne chose quand les prisons sont surpeuplées ?

A la prison de Lannemezan au pied des Pyrénées, trois prisonniers basques ont été condamnés à perpétuité. Ils sont incarcérés depuis 30 ans. La peine de mort a été abolie dans notre pays. On ne va pas les laisser mourir en prison ! Nous écrivons au Président de la République et au Garde des Sceaux, leur demandant de transformer leur perpétuité en une peine de 30 ans. Cela mettrait fin à une si longue détention !

Toujours dans la prison de Lannemezan, un basque souffre de la maladie de Parkinson depuis des années. Sa demande de libération conditionnelle est à chaque fois refusée.

Des migrants arrivent régulièrement à Paris, après un rude parcours du combattant Beaucoup s’entassent sous le croisement des autoroutes près de la Porte de la Chapelle. Certains ont tout perdu. La seule chose qu’on n’a pas pu leur prendre, c’est la dignité.

J’ai honte du mauvais accueil qui leur est réservé, surtout quand l’expulsion prend le pas sur l’accueil.

Une société se juge à la manière dont elle traite les plus fragiles : les malades, les prisonniers, les migrants, les gens de la rue… Ils ont tous faim de dignité. De dignité reconnue. Ils ont autant besoin de respect que de secours.

5 – Revenons aux personnes les plus fragiles. Si nous évoquons les personnes vivant dans des lieux de privation de liberté comme les prisons, ceux qui vivent dans la rue ou bien les migrants, vous qui êtes un homme engagé, les personnes vivant en EHPAD, comment les accompagner et le confinement n’est-il pas une situation frustrante pour vous en ce sens ?

Accompagner les personnes fragiles suppose qu’on les aime. C’est le secret. Quand je vais le samedi après-midi à l’association des sans-papiers, j’ai plaisir à les retrouver, à les écouter, à leur parler. Ils sont ma famille. Je me sens bien avec eux.

Je rencontre des détenus qui ont des longues peines. Depuis 10 ou 15 ans je les visite. Nous avons de la complicité et de l’amitié entre nous. Les parloirs d’une durée de 1h à 1h30 passent vite. Quand on aime quelqu’un on a toujours quelque chose à lui dire. Ils attendent et apprécient ces visites de l’extérieur. Je reçois d’eux le courage de l‘avenir.

Evidemment, avec le confinement, je suis frustré des rencontres habituelles qui ne peuvent plus avoir lieu. Il me reste le courrier et le téléphone. En EHPAD les visites de la famille, des amis, sont une bouffée d’oxygène pour les résidents. Les relations humaines sont vitales pour eux. Je fais partie d’une équipe pour le service d’écoute téléphonique des personnes qui sont en EHPAD. Dans ces maisons, on ne meurt pas seulement du virus mais aussi de ces privations de relations humaines vraies qui font vivre.

6 – Aujourd’hui, le lien social prend une autre forme et les outils de communication permettent de lui donner un souffle nouveau. Est-ce que cela préfigure un changement de nature de la société dans laquelle demain nous vivrons selon vous ?

Effectivement le lien social s’est vite adapté à la situation de confinement, pas pour tous hélas, en faisant appel au télé travail, télé conseil, vidéo conférences, livres électroniques… Saluons cette prouesse technologique. Elle nous rend proche les uns des autres, mais ne fait pas de nous, pour autant, des frères.

Elle abolit les distances, mais ne remplace pas la rencontre réelle des humains qui peuvent se toucher et se témoigner de la tendresse.

7 – Que pensez-vous de ceux qui disent, comme François Gemenne, spécialiste en géopolitique de l’environnement qu’il faut se méfier des formules quasi religieuses du type « la nature reprend ses droits » ! Peut-on laisser « le religieux » à la porte des bouleversements majeurs que nous vivons ?

A mon avis ce spécialiste a raison. Il n’y a pas de revanche de la nature. Nous sommes tous liés pour le meilleur et pour le pire. Perdants ensemble ou gagnants ensemble. Il y a une unité de tous les vivants. C’est un fait d’expérience : La destruction de l’environnement s’accompagne toujours d’un déclin social et d’une baisse de la qualité de vie.

Quand il y a des bouleversements majeurs comme c’est le cas avec la pandémie, des dérives religieuses existent. C’est regrettable. Je préfère reprendre des paroles lumineuses du pape François dans « Laudato Si » sur notre conversion écologique. La spiritualité chrétienne propose une croissance par la sobriété, et une capacité de jouir avec peu. C’est un retour à la simplicité qui nous permet de nous arrêter pour apprécier ce qui est petit, pour remercier des possibilités que la vie nous offre, sans nous attacher à ce que nous avons, ni nous attrister de ce que nous ne possédons pas. Cela suppose d’éviter la dynamique de la domination et de la simple accumulation des plaisirs » (n° 222)

8 – Pensez-vous que l’encyclique de François Laudato Si’ a été et sera un phare pour nous aider à construire demain, et cette maison commune dans un village global qui montre ses errances ?

Cette encyclique est prophétique. Elle ouvre un chemin pour l’avenir de l’Humanité. C’est un phare qui nous guide par sa lumière. Personnellement je me laisse interrogé par ces paroles de François :

« Ecouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres »

« La disparition d’une culture peut être aussi grave ou plus grave que la disparition d’une espèce animale ou végétale » « Tout est lié »

« Le cœur est unique, et la même misère qui nous porte à maltraiter un animal ne tarde pas à se manifester dans la relation avec les autres personnes. Toute cruauté sur une quelconque créature est contraire à la dignité humaine ».

9 – Quelles conséquences imaginez-vous sur notre vivre ensemble demain ? Sera-t-il vraiment différent ou reviendrons-nous à nos turpitudes d’égoïsme, où la concurrence effrénée est la règle ?

Je pense au psaume 89 que nous chantons en communauté, certains jours, à la prière du matin.

« Appends-nous la vraie mesure de nos jours, Que nos cœurs pénètrent la sagesse »

C’est un appel à vivre le moment présent, avec sa densité, sa nouveauté. Demain sera un autre jour. Dans les SMS reçus, on me posait souvent la même question : « Que faites- vous ? Que faites-vous de vos journées de confiné ? » Plutôt que d’énumérer des tâches banales, je répondais « Je vis ».

Il nous faut réussir la transition énergétique. C’est urgent et possible. Repartons d’un bon pied, tirons les leçons de ce que nous venons de vivre.

A Paris, Il y a une diminution du gaz carbonique, grâce au peu de circulation des voitures et des avions. C’est un encouragement à ne pas repartir comme avant.
Luttons contre les inégalités. Je trouve scandaleux qu’à Paris des familles vivent dans des taudis ou dans la rue alors qu’il y a des immeubles vacants et des logements vides. Des lois existent, mais elles ne sont pas appliquées.

Nous sommes faits pour construire un monde où chacun existe pour l’autre.

Un proverbe africain dit :

« L’arbre ne mange pas son fruit, il le donne à manger »

10 – Si vous aviez, en quelques mots, un message à nous livrer, quel serait-il ?

Il est urgent d’aimer Éric-Emmanuel Schmitt l’affirme dans « l’Evangile selon Pilate » : « La seule chose que nous apprend la mort : il est urgent’aimer » Nul ne survit au manque d’amour. Il n’y a pas de vie perdue quand on aime.

Jacques Gaillot
Evêque de Partenia
Paris 1eravril 2020

PDF: Le Covid19. Jacques GAILLOT

Pourquoi tant de souffrances au Burkina Faso. André Marie POUYA

L’auteur de cet écrit, André Marie POUYA, journaliste consultant voudrait à travers sa réflexion rassurer le peuple burkinabè que les événements vécus par notre pays ne sont nullement des sanctions de Dieu. Pour lui, les thèses selon lesquelles Dieu est un père fouettard ne sont pas soutenables.

De janvier 2015 à maintenant, les attaques terroristes ont donné la mort à au moins 800 personnes : femmes, enfants, civils, membres des Forces de défense et de sécurité. Ce climat d’insécurité et de peur a engendré, parallèlement, une population de déplacés de près de 800 000 personnes. Pendant que notre pays saignait déjà abondamment, voilà le Covid-19, maladie du coronavirus, qui nous envahit, début mars. De nombreux messages, émis et ventilés par des Burkinabè, montrent que le Covid-19, né en Chine communiste ou aux Etats-Unis d’Amérique, risque de prospérer dans notre pays, au péril de notre foi et de nos croyances.

Les amateurs de réseaux sociaux reçoivent, sur leurs téléphones portables, des interprétations diverses de cette maladie. Inutile de les ressasser toutes, ici. J’en retiendrai celles m’ayant le plus fait réfléchir, en tant que croyant.

Les explications, quant à l’origine de la pandémie, font passer Dieu pour un père fouettard :
« C’est la colère de Dieu ! »
« Une punition divine ! »
« Un appel au repentir ou à la conversion ! »
« L’annonce de la fin, imminente, du monde ! ».

Je ne crois point à ces thèses, pour plusieurs raisons. Si Dieu était un père qui nous punissait à la hauteur de nos péchés, le monde serait peuplé uniquement de bébés. A seulement quinze ans, qui, parmi nous, pourrait gravir la montagne de forfaits qu’il a commis ? Dieu connaît nos travers de croyants burkinabè. Le professeur Joseph Ki-Zerbo, notre historien de renommée mondiale, qui en savait long sur le sujet, avait, une année, égrené les pourcentages de fidèles attribués à nos trois religions révélées, islam, catholicisme et protestantisme, pour conclure que nous comptions et étions cent pour cent (100%) d’animistes !

Donc, nous sommes d’une religion que nous ne revendiquons pas. Autrement dit, pour beaucoup ou pour la plupart, nous ne faisons pas confiance totalement à la religion que nous professons. En cas de coup dur (menace sur une position sociale) ou de sollicitation ardente (promotion professionnelle ou désir de richesse), nous allons ou retournons à certaines pratiques, qu’elles soient ancestrales (les gris-gris) ou mystico-religieuses (recettes de marabouts). Dieu nous punit-il, pour cela ? Si oui, la mort subite aurait frappé plus d’un sur le lieu du crime !

Dieu est amour et pardon

En tant que croyants, nous savons que Dieu est très aimant, clément et toujours disponible à nos côtés, y compris à nos pires moments d’égarement. C’est ainsi que le voleur ordinaire ou le détourneur de deniers publics prie afin de ne pas être pris, que le couple adultère implore le Tout-Puissant pour ne pas être surpris. L’assassin se consume en formules religieuses, afin de ne pas être soupçonné. Ce qui signifie que, même dans la commission de nos fautes, nous avons besoin de l’aide de Dieu pour nous en sortir ! Combien de nos turpitudes Dieu couvre-t-il, quasi-quotidiennement ?

A nous, catholiques, en particulier, Dieu offre un recours, charitable et affectueux : la Sainte Vierge Marie. Sans notre Sainte Mère, nous, catholiques, ne sommes rien ! Marie n’est pas Dieu. Mais Dieu a accordé cette grâce spéciale à Marie : le privilège d’être une intermédiaire directe, une instance et une autorité d’intercession entre nous, pauvres pécheurs, et Lui, Dieu. Celles et ceux qui ont suivi le long pontificat du Pape Jean-Paul II, auront retenu son exhortation au Renouveau marial. Jean-Paul II se montra très attaché à la Vierge Marie, lui confiant toutes ses souffrances personnelles. Au nom de l’immense tendresse de Marie, le souverain pontife pardonna au militant turc d’extrême droite, Mehmet Ali Ağca, qui tenta de le tuer, sur la Place Saint-Pierre de Rome (Italie), le 13 mai 1981.

Domaines réservés de Dieu

Alors, pourquoi tant de souffrances au Burkina Faso ? Autant se poser la question de savoir pourquoi l’humain, bien que croyant, endure des épreuves sur terre. Une chose est certaine : Dieu a le pouvoir de nous épargner ces traitements sans nom. Nous pourrions bénéficier, peut-être, de cette délivrance, un jour. Qui a la foi croit au miracle, au nom de cette toute-puissance de Dieu. Chaque croyant a réalisé, un jour ou l’autre, la présence de Dieu à ses côtés. Ce qui ne veut pas dire que Dieu exauce toutes nos prières. La preuve, depuis 2015, combien sommes-nous à demander à Dieu, chaque jour, de nous délivrer du terrorisme ? Et pour quels résultats ? Pour autant, avons-nous cessé de l’implorer ? Non ! Dieu accorde sa grâce, à son heure.

Nous allons continuer à prier Dieu, de toutes nos forces, face à ces souffrances que nous n’avions jamais imaginées et que nous ne méritons guère. Dieu seul possède la force d’arrêter et cette barbarie terroriste et cette fulgurante pandémie. Nos prières sont à jumeler aux actes que nous pouvons poser, individuellement et collectivement, pour combattre ces fléaux : « Aide-toi et le Ciel t’aidera ! »

Et, toujours, lancinante, cette question : pourquoi tant de souffrances au Burkina Faso ? Chères sœurs et chers frères, il y a des questions et, par conséquent, des réponses que Dieu se réserve…

André Marie POUYA

PDF: Pourquoi tant de souffrances au Burkina Faso. André Marie POUYA

En souvenir de Michel PINCHON. Jean-Louis RATTIER

Le 14 décembre 2019 nous avons déposé le corps de Michel Pinchon dans le cimetière de Gouville; la croix centrale est notre repaire pour trouver la tombe et nous recueillir auprès de lui. Un petit groupe de ses amis a pensé qu’il ne fallait pas laisser se perdre la vie et le témoignage de Michel. Un arbre abattu, tombé de tout son long a encore une mission: produire du feu, éclairer, réchauffer. J’apporte ici ma contribution en souhaitant que le message de Michel continuer d’agir en nous.

1. Enfance de Michel

Michel est né en 1928, trois ans après son frère Jean; deux fois je l’ai entendu parler de sa venue au monde en ces termes surprenants: «Une parente aurait dit à mon Père: Alors est-ce que vous allez nous faire un deuxième petit? Voyez les Untel, leur fils est mort accidentellement et il n’y a pas d’héritier!» Michel aurait-il été conçu comme précaution pour un éventuel héritage, né pour l’argent? Lui même croyait-il à cette histoire? Je ne sais… Mais concrètement il a laissé le rôle d’héritier et de réussite sociale à son frère aîné; et l’héritage n’était pas mince: maison de maître, terres, armoires de style, cave bien remplie etc…il précisera plus tard: «Je n’ai rien voulu de l’héritage de mes parents; je n’ai emporté que mon rond de serviette» Ainsi peut-être s’expliquerait la distance de Michel par rapport aux biens matériels et à l’argent, une ligne qu’il a gardée toute sa vie. L’argent n’est pas sa raison de vivre.

Le travail est une valeur dans la famille Pinchon; Michel est élevé à la dure par un Père qui durant les vacances n’oublie pas de remplir son emploi du temps de divers travaux à la maison, au jardin et dans les champs; pas de place pour l’oisiveté; Michel dira: «J’ai été trop engueulé par mon Père, désormais je n’accepterai plus cela de personne»

En plus de sa mère Éliane, deux autres figures maternelles viennent adoucir l’enfance de Michel: sa grand-mère et Germaine qu’il appelait sa nounou. Germaine avait seulement 15 ans à son arrivée dans la famille et Michel 5 ans; et elle y est restée toute sa vie; même retraitée, elle lavait encore le linge de Michel. Une fois, raconte Michel, un dimanche, revêtu de son beau costume et malgré les avertissements de Germaine, il était monté sur des tas de bois pour faire l’acrobat; le prévisible arriva: une chute et une belle déchirure au costume; Alors Germaine clandestinement entreprit de recoudre un à un les fils et c’est seulement quelques mois plus tard que Mme Pinchon s’étonna de ce bizarre raccommodage. De même quand Mme Pinchon rentrait de la ville et demandait: «Est-ce que les garçons ont été sages?» Même s’ils avaient été turbulents, elle s’entendait répondre par Germaine: Mais oui, Madame»

Michel a toujours eu une relation difficile avec l’autorité. Y aurait-il une explication dans cette anecdote qu’il raconte? A l’école primaire pendant la classe arrivent deux gendarmes qui sans explication emmènent avec eux un de ses camarades; l’après-midi le garçon ne réapparaît pas ni le lendemain ni le sur-lendemain; Michel panique; les gendarmes auraient-ils ce pouvoir terrifiant de vous faire disparaître? Son copain est-il au fond d’une cellule, en prison ou même mort? L’explication n’arrive que la semaine suivante: le père du garçon était mort accidentellement et les gendarmes avaient simplement reconduit le garçon chez lui. Michel gardera un traumatisme de cet épisode; il a toujours peur des gendarmes, même pour un simple contrôle routier et l’uniforme quel qu’il soit lui inspire une grande méfiance. D’une façon générale, Michel n’aime pas les affrontements ou les conflits; il préfère souvent s’éloigner.

Jean, de trois ans son aîné, a publié en 2010 son autobiographie «Mémoires d’un paysan» aux éditions l’Harmatan; il évoque Michel avec ces mots: «Depuis le jour de sa naissance Michel est une joie pour moi» Il raconte aussi la surprise qu’ils ont son père et lui quand après son bac Michel leur déclare calmement: «Je veux être prêtre» Jean ajoute «Mon père était croyant et pratiquant mais, comme beaucoup de normands, joyeusement anticlérical; il dit à Michel: Tu seras prêtre si tu veux à ta majorité, mais pour l’instant tu fais des études de lettres»

De son côté Jean réalise un parcours professionnel de haut niveau; après de solides études d’agronomie, il se consacre au syndicalisme agricole où il côtoie en particulier Henri Canonge, Jean-Baptiste Doumens et Michel Debatisse. Puis vient le temps de la politique dans différents cabinets ministériels auprès de Valéry Giscard d’Estaing, Michel Debré, Edgar Pisani, Edgard Faure et Georges Pompidou; Jean aurait même décliné la proposition de Pompidou qui lui offrait le poste de ministre de l’agriculture; Jean pense que c’est trop tard pour lui car déjà il s’est engagé dans une troisième vie, celle des exportations et du commerce international principalement avec les USA. Jean représente pour Michel une vie et des idéaux trop liés au pouvoir et à l’argent. Dans les réunions de famille Jean est le centre; Michel se tait.

2. Souvenirs personnels

Après une dizaine d’années à l’école d’agriculture de Tourville, Michel succède au Père Rocher comme supérieur du Petit Séminaire d’Evreux, place Saint-Taurin; c’est là que je fais sa connaissance; j’ai 15 ans. Michel impressionne par sa stature et porte de beaux costumes; il dira de moi: «Qui est-ce grand jeune homme sérieux, qui ne s’exprime pas beaucoup? » C’est le début d’une relation qui durera 55 ans; on a eu le temps de se connaître.

Michel, attentif à la vie et aux signes des temps que le récent Concile invite à découvrir, pressent que la formule «Petit séminaire» est à bout de souffle; D’ailleurs dans les années 70 la plupart des petits séminaires fermeront, et certains reprocheront à Michel d’avoir été celui qui a fermé le séminaire. En attendant Michel anticipe le mouvement; il envoie les élèves étudier à Saint-François pour proposer plus de filières au bac; le petit séminaire devient un foyer, un lieu de vie et Michel y pratique une pédagogie de la responsabilité; au lieu de la messe obligatoire chaque matin on peut choisir entre la messe ou un temps de méditation spirituelle guidée; certains temps d’études ne sont plus surveillés (on parle alors d’auto-contrôle, d’auto-discipline) Un après-midi par semaine les séminaristes volontaires se dispersent dans les paroisses pour le catéchisme ou d’autres activités. Certains soirs Michel nous regroupe; il nous lit et explique Saint Saint Exupéry ou Camus. Une année il nous laisse organiser une collecte de meubles et d’appareils divers au profit du CCFD; nous trouvons 15 camions d’entreprises ou de la base américaine pour cette opération. La cour du séminaire déborde; il faudra vendre tout ça. De diverses façons Michel nous sensibilise aux problèmes de la faim, du tiers-monde et du développement. Oui, Michel est assurément un éducateur; toute sa vie il gardera une étonnante capacité de contact avec les jeunes.

Michel a toujours été présent aux différentes étapes de ma vie; et j’ai trouvé auprès de lui écoute et compréhension; ainsi en 1969 après 2 ans au grand Séminaire de Rouen, je suis face à un choix: le service militaire ou l’objection de conscience; mes idées pacifistes me poussent vers l’objection qui se traduit à l’époque par un service social de 3 ans. Je consulte les autorités; Mgr Antony Caillot, évêque d’Evreux, me dit: «Je ne vous demande pas d’être officier, mais faites au moins le service militaire» Le Père Devis supérieur du grand séminaire me répond: «J’ai peur pour vous, aucun séminariste-objecteur n’est revenu pour continuer vers le sacerdoce» Quant à mon père spirituel du séminaire il est davantage préoccupé d’art et de liturgie que de mon orientation.

Rendez-vous est pris avec Michel; je lui expose mon projet de travailler dans les bidonvilles en région parisienne en rejoignant le Père Joseph Wresinski d’ATD-Quart monde. Sa réponse arrive claire et nette: «Si tu y crois, faut le faire» 4 mois plus tard, je pars pour Pierrelaye, le centre de formation d’ATD et ensuite dans le camp de Noisy-le-Grand où les familles pauvres s’entassent sous les fameux «igloos» en fibrociment. J’anime une bibliothèque et des activités pour les enfants; Je n’ai jamais regretté ce temps de service social.

En 1981, j’ai 32 ans et après 6 années de ministère paroissial à Vernon je me questionne sur mon avenir; certains diront, c’est la crise des 6 ans de mariage «avec l’Église»; J’ai le désir de participer à une autre forme d’Église, plus engagée, plus évangélique; J’exprime à Michel mon projet de voyager en Amérique Latine pour y rencontrer des prêtres et des communautés; Michel n’est pas surpris et me dit tout de suite: «Si tu veux je t’emmène au Brésil dans 6 mois; je vais à une assemblée continentale des fraternités sacerdotales Charles de Foucauld. Je te ferai connaître des prêtres de différents pays qui ensuite te recevront chez eux. Nous partons donc à Sao Paulo, je passe une semaine à l’assemblée et 15 jours dans des paroisses populaires avec 2 prêtres italiens; Nous sommes même invités par le cardinal Arns à concélébrer avec lui dans sa cathédrale; nous ne sommes pas loin de San André où déjà un certain Lula fait parler de lui.

Sur les indications de Michel mon voyage se poursuit en Uruguay un pays très laïc et peu latino, puis en Argentine à Buenos Aires chez Luis Stockler qui deviendra évêque quelques années plus tard et aussi un périple dans le nord à Reconquista chez Paul Dugast, un prêtre français. Et encore à Santiago au Chili, chez Luis Borremans, un belge et chez Alvaro Gonzales. Déjà je visite la communauté de Mariano Puga, dans un quartier populaire qui résiste à la dictature de Pinochet. Mariano vient de mourir en ce début de 2020; Il avait reçu un prix de la Paix au niveau du Chili et son inhumation a rassemblé des milliers de gens venus des quartiers populaires. Quand il venait en France il ne manquait jamais de rendre visite à Michel.

Puis je débarque à Lima au Pérou chez Jean Dumont, un autre prêtre, ami de Michel qui a fondé les «équipes enseignantes» au Pérou et au Chili; il parcourt la campagne pour regrouper instituteurs et enseignants en leur proposant de former des groupes de réflexion chrétienne; il vit à Lima dans un bidonville sordide appelé «Caja de Agua» c’est à dire «Caisse d’eau» dans une ville où il ne pleut jamais! Là les pauvres se font enterrer dans le sable du désert à quelques kilomètres pour éviter de payer une tombe. Jean me fait un programme de voyage dans la cordillère des Andes, à Arequipa, au lac Titicaca, Puno, Cusco; c’est l’aventure.

Après 3 mois de voyage, ma décision est prise; avec l’accord du diocèse, je propose mes services au CEFAL ( organisme des évêques de France) qui prend en charge ceux qu’on appelle les «Fidei Donum» Et aussitôt on m’envoie à Louvain en Belgique pour étudier l’Espagnol et la culture latino; Mon choix du Chili doit beaucoup aux exilés politiques chiliens, accueillis à Gaillon et Vernon en 75-76; j’avais sympathisé avec eux et déjà ils m’avaient initié à la langue, aux chants et à leur culture. Et avaient-ils ajouté «Le Chili est le plus beau pays du monde» Alors en route.

Michel avait des amis dans de nombreux endroits à cause des réseaux de la Famille spirituelle De Foucauld qui compte 17 branches différentes, des revues «Jésus» et «Jonas» et de sa participation à des instances nationales ou régionales en ce qui concerne l’église. Je l’ai constaté: dans n’importe quel diocèse en France on trouvait toujours quelques prêtres qui le connaissaient; Michel partageait ses amis, il ne les gardait pas pour lui. Ainsi il a fait connaître les livres, les écrits et les activités de son grand ami, Gérard Bessière. Beaucoup connaissent les homélies de Gérard quand il prêchait à la messe de France Culture ou écrivait pour «La Vie» Ces homélies pour les 3 années liturgiques sont bien sûr regroupées dans plusieurs livres. Michel m’a fait connaître des prêtres des fraternités qui ont eu de l’importance pour moi: Gunther Lembralt au Brésil, Jim Murphy un irlandais, Jacques Leclerc et Guy Bouillé à Montréal, Bruno Verret et Yvon Trottier à Québec, sans oublier Donald Hanchon aux USA qui m’a fait venir 3 ans à Detroit pour la pastorale des migrants mexicains.

De même en France à chacune de mes nominations ( Vernon, Saint-André et Damville ) Michel ne manquait pas de me dire «Tiens, tu iras chez les Untel, ce sont des amis»; à Vernon, il m’a fait connaître le groupe «Vie Nouvelle» Michel était en lien avec beaucoup de laïcs croyants ou non, intégrés dans l’Église ou mal à l’aise avec l’institution. J’ai noté que souvent la relation avait commencé par l’extrême disponibilité de Michel dans des circonstances difficiles; ainsi par exemple à Evreux, alors qu’il est vicaire général, il laisse son travail pendant 3 jours pour se consacrer à une famille dont le fils s’était suicidé sur une plage normande. Ou encore à Vernon, il soutient une famille qui a perdu une petite fille de 2 ans; chaque fois c’est le début d’une amitié formidable.

Au fil des années Michel s’est constitué un réseau d’amis très nombreux; j’ai retrouvé un répertoire où il avait noté simplement le nom des couples et de leurs enfants, comme s’ il craignait d’oublier les prénoms. Est-ce qu’il révisait de temps en temps? Ce réseau il l’appelait «Ma paroisse personnelle» car beaucoup venaient célébrer à Gouville: baptême, mariage, noces d’or; sans oublier que Michel allait aussi célébrer à l’extérieur et parfois très loin. Très tôt il avait mis en place des temps de prière pour les divorcés-remariés et parfois même des célébrations incluant des juifs ou des musulmans.

3. Ce que j’ai observé chez lui

Michel prenait très au sérieux son temps de prière chaque matin, une heure si possible; Dans le chœur de l’église, sa stalle l’attendait avec le bréviaire, le Prions en Église, quelques livres de spiritualité et une couverture car il ne faisait pas bien chaud l’hiver. Sa piété n’avait rien d’ostentatoire mais il restait fidèle aux recommandations des fraternités de Foucauld: la prière, l’adoration eucharistique, un journée de désert de temps en temps et la révision de vie chaque mois en petite équipe. Il acceptait aussi de prêcher des retraites spirituelles à divers groupes.

Beaucoup ont noté son style de vie volontairement pauvre; dans les années 90, en visite chez lui Jacques Gaillot lui dit «Michel tu vas sans doute enlever ce vieil évier de pierre et enfin installer l’eau chaude!» Réponse de Michel: «Cet évier, il sera encore là bien après moi» Michel s’obstinait à ne jamais fermer à clé sa maison même s’il partait pour un voyage de 3 mois: quelqu’un pourrait avoir besoin de s’y abriter! Quelques vols: un vélo tout neuf à peine offert, des outils, un peu de fuel ou quelques bouteilles, tout cela ne semblait pas l’impressionner. D’une façon générale, comme Jean Goujet, il voulait mettre en pratique ce conseil évangélique «Donne à qui te demande» Et Michel a donné pour de vrais dépannages mais aussi parfois à des escrocs, à de vrais arnaqueurs.

Fils d’agriculteur Michel aimait travailler la terre, désherber, planter, observer la croissance des plantes, des fleurs et des légumes; son jardin n’avait pas de rentabilité économique mais était plutôt un prétexte à la relation, à des échanges; certains lui fournissaient les plants, comme son ami Alfred Verda de Breteuil et Michel partageait la récolte avec les prêtres de Damville, Jean et Popol, les religieuses ou d’autres. Ses invités en profitaient également car Michel aimait recevoir : amis, couples, groupes; il pensait toujours à décorer la table et rappelait la réflexion de ce jeune auquel il avait donné à lire l’évangile de St Marc «Dis donc dans ton bouquin, ils ne font que bouffer» Michel avait retenu la leçon: Les préparations aux sacrements commençaient souvent par un repas pour faire connaissance, pour s’apprivoiser et si possible préparer la cérémonie.

Sans doute faut-il aussi prendre conscience de l’écoute inconditionnelle de Michel; par de discrètes questions il faisait progresser la conversation, évitant de juger. Il ne donnait pas de conseils, il ne moralisait pas; il suggérait tant il voulait respecter la liberté de l’autre; il a souvent écouté des bavards avec infiniment de patience; une fois ou l’autre il m’a dit «Cette femme Africaine, nouvellement convertie, je l’ai écoutée tout l’après-midi mais réellement je n’ai rien compris; elle parle de sa foi chrétienne, mais en même temps elle raconte ses rêves et mélange tout cela avec la magie et les coutumes de son pays» Il n’avait pas compris, mais il avait écouté.

On ne comprendrait pas Michel sans voir son rapport avec son corps qui était un peu le «frère âne» qu’on a le droit de brutaliser; Michel avait une santé de fer et ajoutent certains «un estomac d’autruche» Il le disait lui-même «Jusqu’à 70 ans, je n’ai jamais rempli une feuille de sécurité sociale» Jamais malade, jamais fatigué, dormant peu, toujours disponible, très souvent sur la route dans le département ou plus loin.Une fois en voiture il est revenu de Madrid ( 1500 Km) d’une seule traite, sans étape; seule explication qu’il avait donnée «J’ai mis un stock d’eau à côté de moi et j’ai roulé»

Dans ces dernières années ses amis ont dû beaucoup insister auprès de Michel pour qu’il prenne soin de lui, qu’il voie un médecin, un cardiologue et qu’il suive leurs prescriptions; Michel après son opération de la hanche n’a pas vécu les 6 mois de rééducation à la Musse comme une souffrance ou une épreuve mais plutôt comme une découverte, un temps de partage et de rencontre avec les autres; seule ombre au tableau: ce médecin-chef qui prétendait l’envoyer en maison de retraite! Cela il ne peut le lui pardonner.

A son retour de la Musse, des groupes et des amis de Michel organisaient des réunions chez lui pour lui éviter un déplacement en voiture jugé dangereux; mais Michel persévérait dans son idée de conduire pour de petits parcours et cela malgré plusieurs accrochages et accidents. Cela a compliqué notre relation avec lui; ceux qui lui tenaient tête se sont vertement fait engueuler, tant cela lui semblait une atteinte à sa liberté. Marie-France et Philippe, Jean-François et moi-même, nous avons le souvenir de ces moments où le ton a vraiment monté. Il a fallu lutter pour que Jacques obtienne de le conduire faire des courses à Breteuil et moi-même pour aller le chercher pour les messes dominicales, des réunions ou des repas. Il ne voulait dépendre de personne et les accidents qu’il avait eus étaient toujours arrivés «à cause des autres» Anecdote encore: à la Musse l’examen sur sa capacité de conduire dans un simulateur moderne s’était avéré négatif pour lui. Mais Michel avec assurance et une grande part de mauvaise foi avait déclaré que l’appareil ne fonctionnait pas bien! Au total il a laissé une voiture qui selon le garagiste aurait nécessité plus de 4500 Euros de réparations principalement en carrosserie. Je garde un mauvais souvenir de cette période où vraiment nous avons tremblé de le savoir sur les routes.

Dans ces 3 ou 4 dernières années, retiré dans son cher Gouville, Michel a voulu continuer à donner un sens à sa vie; il se faisait un emploi du temps; tant qu’il a pu il a visité quelques malades dans son voisinage dont une femme très âgée et aveugle; à sa demande il lui lisait des passages d’évangile. Lui-même lisait beaucoup; et souvent en soirée Jacques et Marie-Agnès Gougeon rejoignaient Michel pour un temps de lecture commentée et d’échanges. L’après-midi Michel se donnait du temps pour la promenade et le jardinage; et surtout il a redécouvert le bréviaire et les psaumes qu’il savourait; parfois, et c’était nouveau pour lui, il poursuivait par la messe, là tout seul dans son bureau.

Conclusion

Au terme de ces pages il est bien difficile d’élaborer une synthèse de la vie de Michel; d’autres éléments dans ce livret vous y aideront. Toutefois je risque une comparaison: en médecine il y a de grands professeurs, des spécialistes de renom, d’excellents chirurgiens, des meneurs d’équipes, des chefs de cliniques et au bas de l’échelle dans notre petite ville un simple généraliste dont nous apprécions les soins.

Michel au fond a été un prêtre généraliste; exégète à ses heures quand il lisait le «Jésus» en 4 tomes de John P. MEIR, un bibliste de renom mondial, historien quand il parcourait 1500 pages sur l’histoire des croisade; spirituel car fin connaisseur de la vie et des écrits de Charles de Foucauld; accompagnateur spirituel de ceux qui se confiaient à lui, prêtres, religieuses et laïcs; voyageur pendant 12 ans en Asie, Afrique et aux Amérique; animateur de sessions, de colloques, apte à donner des lignes de travail et à rédiger d’excellentes synthèses; journaliste avec ses deux revues quand il s’agissait de suivre et de réfléchir sur l’actualité de l’église et du monde, excellent gestionnaire quand il s’agissait de tenir les finances de Tourville, du séminaire, du diocèse et même le budget municipal de Gouville; fondateur et animateur infatigable de l’Action Catholique rurale; et enfin simple prêtre en paroisse. Au fond Michel ne s’est spécialisé en rien, mais il a été présent et actif sur bien des fronts; sa polyvalence l’a ouvert à beaucoup de gens et sa seule spécialité fut celle de l’Amitié Inconditionnelle dont nous avons bénéficié. J’imagine une plaque professionnelle sur la porte de sa maison: «Ici spécialiste en Amitié; Entrez sans frapper» Nous le savons, cette amitié avait sa source dans un Autre, ce Jésus qu’il a aimé et qu’il a rejoint.

31 Mars 2020

PDF: En souvenir de Michel PINCHON. Jean-Louis RATTIER