Homélie pour Michel PINCHON. Jean-François BERJONNEAU

Frères et sœurs,

La maison de Gouville où habitait Michel était ouverte à tous :

Laïcs et prêtres, croyants et incroyants, personnes en galère ou en recherche, hommes et femmes de culture ou de convictions différentes, jeunes ou personnes avancées en âge, habitants de Gouville ou venus des 4 coins du monde…

C’était un carrefour incroyable de rencontres et de dialogues de toutes sortes !

Mais tous se sentaient en famille car c’était la grande famille de Michel Pinchon.

Aujourd’hui sa maison est trop petite pour nous accueillir tous.

Mais cette église de Breteuil veut être à son image : La maison de « la fraternité » (comme son maître spirituel Charles de Foucauld appelait sa propre maison), une maison ouverte à tous

Nous voici rassemblés dans une même peine autour de celui qui a été pour chacun(e) de nous un grand frère, un ami, parfois un confident…quelqu’un qui nous a écouté avec cette « justesse d’écoute » dont parlait un de ses amis de toujours,

Quelqu’un qui nous a accueilli, soutenu, conseillé et qui va certainement nous manquer dans les jours qui viennent.

Je le ressens moi-même en essayant de trouver les mots pour accompagner dans ce grand passage celui qui a été pour moi un grand frère dans le sacerdoce, un compagnon de route durant tant d’années.

Oui, même si nous avons des vocations et des parcours différents, même si nous n’avons pas le même caractère ni la même manière de nous situer en Eglise, même si les chemins spirituels que nous empruntons sont divers, c’est une communion fraternelle profonde qui nous rassemble autour de lui par-delà même la mort. Et la source de cette communion fraternelle c’est le Christ ressuscité en qui Michel avait placé toute sa confiance et auquel, comme prêtre, il avait donné toute sa vie.

C’est assez paradoxal :

Au moment où la tristesse emplit nos cœurs, au moment où les larmes embuent nos regards, l’Evangile des béatitudes nous parle de bonheur ! Heureux, bien heureux neuf fois répétés par Jésus lui-même.

Et ce n’est pas seulement un appel au bonheur…

C’est le constat d’un bonheur possible au cœur de nos peines et de nos chagrins.

Et c’est peut-être le défi de cette célébration qui nous rassemble autour de Michel aujourd’hui !

Michel nous a laissé un goût prononcé du bonheur !

La troisième béatitude ne nous dit-elle pas : « Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés ! » ?

Oui, au cœur de cette peine qui nous étreint, il ya pourtant de la place pour la joie, car la consolation nous est donnée !

Mais d’où nous vient cette consolation ?

Précisément de ce chemin des béatitudes qui nous a été ouvert par le Christ dans l’Evangile et qui introduit dès maintenant, dans notre vie terrestre, une lumière d’éternité.

Car vous l’avez remarqué, la première béatitude nous parle au présent :

« Bienheureux les pauvres de cœur, car le Royaume des cieux est à eux »…Dès aujourd’hui, pas seulement pour demain ou après la mort !

Au point que Maurice Zundel a pu écrire :

« Le vrai problème n’est pas de savoir si nous vivrons après la mort, mais si nous serons vivants avant la mort.

Si nous étions vivants avant la mort, en effet, s’il y avait en nous cette grandeur, cette puissance de rayonnement, où s’atteste une valeur, s’il y avait en nous une source jaillissante, si notre vie portait partout la lumière, la mort en nous serait progressivement vaincue ! »

Pour nous Michel a été ce vivant qui a élargi nos horizons et qui nous a introduits dans cet amour du Christ sans limite qui est déjà victoire sur la mort. Et il demeure ce vivant !

Et c’est ce chemin des béatitudes qui a été comme sa boussole et qui l’a enraciné de son vivant dans cette éternité bienheureuse…

En fait, vous l’avez tous remarqué, ce chemin des béatitudes va à contre courant du chemin que nous trace cette société dans laquelle nous vivons aujourd’hui.

Car la conception du bonheur qui habite beaucoup de gens dans ce monde où nous vivons pourrait se décliner ainsi :

Bienheureux ceux qui peuvent jouir de leurs richesses et assurer leur avenir sans problème

Bienheureux ceux qui ont du pouvoir et qui sont remarqués pour leurs compétences

Bienheureux ceux qui entrent dans la compétition et qui ont du battant,

Bienheureux ceux qui pensent que « charité bien ordonnée commence par soi-même »

Bienheureux ceux qui ont matière à rire et à profiter de la vie…

Mais comme le dit la chanson : « Qui parle de ce type de bonheur a souvent les yeux tristes… »

Eh bien, Michel s’est toujours situé à contre courant de cette manière de mener sa vie. Car il est resté toute sa vie un homme libre ! Libre pour aimer !

Le chemin si paradoxal des béatitudes et qui introduit l’éternité au cœur de notre présent si souvent obscur et incertain c’est celui du Christ qui place l’amour au cœur de notre vie.

Car quand on aime, on ne peut qu’être pauvre de cœur et murmurer à celui que l’on aime « que serais-je sans toi ? »

Quand on aime à la manière du Christ, on ne peut qu’être doux et bannir toute contrainte ou domination sur l’autre…

Quand on aime vraiment, on ne peut que pleurer vis-à-vis de la souffrance des pauvres et des exclus et s’engager à leurs côtés pour une vraie solidarité

Quand on aime on ne peut qu’être saisi par la soif de justice pour que chacun soit reconnu dans sa dignité et ait sa part de pain.

Quand on aime, on est porté par la compassion du Christ, on ne peut qu’être empreint de cette miséricorde qui donne toujours le dernier mot à l’amour en réponse au mal et au péché.

Et même, même… cette puissance de l’amour du Christ peut maintenir en nous cette petite flamme de joie insolente, persistante et résistante, au milieu des contradictions et des oppositions que nous rencontrons immanquablement sur un tel chemin !

C’est cette lumière de l’amour du Christ qui a éclairé ce parcours de la vie de Michel, à sa manière, avec ses hauts et ses bas, ses élans et sa fragilité, ce sentiment si fort de la fraternité mêlé à ce désir farouche de sauvegarder sa liberté…

Lors de notre dernière rencontre de fraternité sacerdotale, il y a environ un mois et demi, Michel avait voulu faire brièvement la relecture de sa vie depuis son enfance jusqu’à ces dernières années marquées par sa fragilité. Etait-ce le pressentiment qu’il avait d’arriver au bout du chemin de son existence ? Et il concluait cette relecture par ces mots : « J’ai eu la chance de pouvoir rester un homme libre. Et il ajoutait : «  Je n’ai jamais aimé qu’on ait la main mise sur moi… » Et ce disant, il était lucide sur lui-même car cela le caractérisait bien !

Quand on écoute la relecture de sa vie, telle que Jean-Louis nous l’a faite au début de cette célébration, on ne peut qu’être frappé par la richesse et la diversité de son ministère qui a fait de lui « un prêtre des périphéries » comme nous y appelle sans cesse notre Pape François.

Libre il l’a été dans sa capacité à rebondir et à transformer la blessure qu’il avait ressentie dans l’Eglise en un chemin ouvert pour une plus grande proximité et une vraie solidarité avec les pauvres et les blessés de la vie ici et dans tous des tiers mondes de notre planète..

Libre aussi dans cette pratique de la fraternité sans frontière qui l’a conduit à rejoindre dans leur langue maternelle tant de prêtres de la fraternité sacerdotale Jesus caritas, dans tous les continents, solidaires de leurs peuples de pauvres.

Libre dans son long accompagnement de l’équipe diocésaine du CCFD pour que cette solidarité vienne rejoindre les pauvres de toute les parties du monde dans la prise en main de leur destin.

Libre dans sa volonté de participer à la vie publique de sa commune dans cette responsabilité qu’il a assumée au sein du Conseil municipal de Gouville dans une grande amitié avec son Maire

Libre dans ce regard de miséricorde et d’espérance qu’il a porté sur un frère prêtre en prison dont il a accueilli le corps dans son caveau funéraire et qu’il rejoint maintenant

Libre dans sa recherche intellectuelle et dans son goût et son assiduité pour la lecture pour tenter de comprendre ce monde complexe et en crise dans lequel nous vivons

Libre dans sa passion de faire partager cet amour du Christ et de l’Evangile dans les innombrables groupes bibliques qu’il a animés et dans les groupes d’action catholique qu’il a accompagnés dans toutes les parties du diocèse.

Libre dans cette proximité de la terre et de la culture de son jardin qui l’a toujours tenu dans la patience et dans l’humilité en bon rural qu’il était…

Mais il faut chercher la source de cette liberté.

Et cette source cachée, intime et rayonnante, c’était chaque matin ce cœur à cœur dans la prière avec son bien-aimé Seigneur et frère Jésus de Nazareth dans le sillage du bienheureux frère Charles de Foucauld, son maître spirituel.

Tôt levé, il prenait ces longs temps de silence et de solitude tantôt dans son église de Gouville, tantôt chez lui…

« J’essaie de prier » nous disait-il avec simplicité « Je passe du temps à entrer dans une relation toujours plus profonde avec Jésus »

Et c’est à partir de ce foyer d’amour qui l’unissait au Christ et qui le façonnait dans la prière et dans l’Eucharistie qu’il a pu déployer à sa manière cet « apostolat de la bonté » avec toute personne rencontrée et dans tous ces domaines si variés de sa vie que Jean-Louis a rappelés en commençant

En guise de conclusion, je vous livre un dernier mot de lui qu’il a prononcé lors de ce Sacrement des malades qui nous a rassemblés autour de lui, avec quelques amis à l’hôpital de Verneuil le 11 Novembre dernier. Temps très fort d’amitié et de prière, où nous sentions tous au seuil du grand mystère…

A la fin de cette célébration, nous l’avons entendu s’exclamer « Dehors ! »

J’ai tout d’abord pensé qu’il nous appelait à sortir de nos communautés trop closes, avec cette sorte de connivence avec le Pape François qui nous appelle toujours à être une Eglise en sortie.. ;

Mais ses amis proches ont vu dans ce mot l’expression de son désir de sortir lui-même de l’hôpital pour rejoindre sa chère maison de Gouville où il avait toujours voulu finir ses jours.

Or cette maison que nous avons évoquée en commençant restera toujours pour ceux qui y ont été accueillis le signe de cette fraternité universelle que Michel a voulu vivre dans les pas du frère Charles : par son ouverture à tous sans exclusive, par cette hospitalité inconditionnelle, elle était peut-être comme un avant-goût de ce Royaume que Michel a voulu servir de son vivant et vers lequel il s’achemine maintenant..

Un verset du psaume 26 me revient en pensant à cette maison :

« J’ai demandé une chose au Seigneur, la seule que je cherche :

Habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie ! »

Michel, notre frère, que le Seigneur t’accueille dans sa maison ouverte à tous, comme un bon serviteur que tu as été.

Que tu y retrouves tous tes frères et sœurs que tu as aimés et qui t’ont précédé ainsi que tous ces pauvres qui ont vécu les béatitudes sans le savoir.

Que tu participes enfin à ce festin des noces de l’Agneau que tu as anticipé en tant d’Eucharistie que tu as célébrées et en tant de repas partagés où les pauvres, les aveugles, les estropiés trouvaient leur place.

Et qu’à ta suite, nous ayons à cœur d’ouvrir de nouveaux chemins d’Evangile et d’Eglise avec tous dans cette liberté que nous donne le Christ et qui consiste à donner notre vie au jour le jour pour tous ces frères et soeurs qu’il nous est donné de rencontrer et d’aimer. Amen

PDF: Homélie pour Michel PINCHON. Jean-François BERJONNEAU

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