Mgr Alain FAUBERT, nouveau évêque de la Fraternité. Québec-Acadie

Frère Charles, une inspiration pour mon ministère épiscopal

Il est 9h20, ce mercredi 13 avril 2016. La routine du matin s’est déroulée comme d’habitude: lever, jogging, déjeuner, prière des Laudes avec Luce, ma collaboratrice… et la journée était bien lancée à la paroisse Saint-Germain d’Outremont. Mon cellulaire se fait alors entendre. Un indicatif régional peu habituel s’affiche. Je décide de répondre. C’est le nonce apostolique, Mgr Bonazzi. Sa voix est chaleureuse; il me donne du «Alain» et me tutoie. Mon coeur bat plus vite. «Tu peux venir me voir aujourd’hui ou demain, à Ottawa?» Mgr Bonazzi ne me dit pas pourquoi il a ce besoin urgent de me rencontrer. Je crois deviner. Je tombe à genoux. Il fait soudainement très chaud. Je raccroche, après avoir promis de le rappeler sous peu pour fixer le rendez-vous. Les pensées et les questions tourbillonnent. Pour m’aider à trouver la paix, un ange de passage (oui, oui!) me chante la prière d’abandon de frère Charles. Je la fais mienne, une fois de plus, mais avec une profondeur nouvelle. Je sors de ce moment de prière avec cette phrase que je me répète: «Quoi qu’il arrive…» La paix s’installe.

Quatre mois (et une ordination épiscopale) ont passé. Je me réjouis encore de cette délicatesse du Seigneur : il a permis qu’à ce tournant de ma vie frère Charles soit mystérieusement présent. Je me dis qu’il n’y a pas de hasard. Charles de Foucauld s’était déjà invité sur mes chemins depuis plusieurs années, par le biais d’autres anges, d’autres témoins inspirés par son charisme.

Je pense à ma rencontre avec Jacques Leclerc. Il était curé à la paroisse Saint-Grégoire-le-Grand, dans le quartier Villeray. À l’automne 1990, en ma quatrième année de Séminaire, on m’y envoie en stage d’insertion. C’est le premier pasteur avec qui j’ai partagé la vie et le ministère. Un homme attentif à tout le monde, soucieux de faire pousser la vie en chacun, chacune. Je crois sincèrement que j’ai côtoyé un saint. Entendons-nous : je devine qu’il avait un caractère bouillant et j’imagine qu’il pouvait parfois piquer des saintes colères. Mais j’ai surtout goûté à sa douceur, et à la confiance qu’il me faisait, alors que j’avais de la difficulté à croire en moi et à trouver une famille spirituelle qui corresponde à mes perspectives sur le ministère presbytéral. Et voilà que j’avais devant moi un homme pétri d’Évangile, un chrétien pour aujourd’hui, un prêtre rayonnant non pas par des habits distinctifs, mais par son leadership entrainant. J’ai bien sûr appris de lui qu’il appartenait aux Fraternités sacerdotales Jésus Caritas qu’il avait contribué à établir au Québec. Malheureusement, après une toute petite année à Saint-Grégoire-le-Grand, j’ai été appelé à me joindre à une équipe de «nouvelle
évangélisation» (comme quoi l’expression ne date pas d’hier). J’ai quitté la paroisse de Jacques, mais j’ai emporté avec moi le désir de lui ressembler un peu dans ma manière de vivre mon ministère. Je n’avais pas encore lu beaucoup de choses sur frère Charles, mais j’avais la conviction qu’il me fallait, comme Jacques, à la suite de Charles de Foucauld, être témoin de fraternité envers tous, dans une simplicité de vie inspirée de la vie de Jésus à Nazareth.

C’est seulement après mon ordination presbytérale que s’est présentée pour moi la chance d’approfondir la spiritualité foucauldienne au sein d’une petite fraternité de prêtres. J’ai été approché par des confrères qui avaient commencé à se réunir pour prier ensemble et relire leurs expériences pastorales à la lumière de l’Évangile. Nous avions à peu près le même âge, même si tous n’étaient pas de la même «promotion» au Séminaire. Il y avait parmi eux des amis, mais aussi des frères que j’ai appris à connaître et aimer au-delà de nos affinités ou sensibilités personnelles. Depuis plus de 20 ans déjà, nous nous retrouvons régulièrement pour faire révision de vie, prier ensemble devant le Saint-Sacrement, manger et rire, jouer aux cartes et partager les nouvelles.

Au fil des années, quelques confrères ont pris des distances, d’autres sont arrivés, certains sont même revenus après un certain éloignement. La «formule» de nos rencontres a quelque peu bougé, mais un «noyau dur» demeure inchangé : la mise en commun de faits de vie, la prière en silence, l’approfondissement d’un événement particulièrement significatif, à la lumière de l’Évangile. Notre référence explicite aux écrits de Charles de Foucauld, à sa spiritualité et à l’expérience des fraternités Jésus Caritas a elle aussi connu des fluctuations. Tout de même, un essentiel demeure : à la suite de frère Charles, nous portons d’abord nos joies et nos peines ensemble devant le Seigneur, puisque son amour est le plus fort. Et nous concluons toujours nos rencontres par la prière d’abandon, signe que, malgré les difficultés, nous voulons nous remettre, comme lui, en toute confiance, entre les mains de celui qui est notre Père.

Bien sûr, la révision de vie nous amène assez souvent à constater que notre Église, au Québec comme ailleurs, est secouée par des tempêtes. Le défi pour notre petite fraternité est alors de ne pas sombrer dans le désespoir ou le cynisme. Ensemble, nous sommes plus forts, ensemble nous pouvons retrouver le cap de l’espérance. Pour ma part, je retire de nos rencontres (et j’espère aussi y apporter) un regard toujours plus lucide sur ce monde que Dieu aime, sur l’Église et sur moi-même, en étant confiant que le Seigneur nous précède et accomplit son projet, même à travers ce qui nous semble être un écroulement ou un échec. Là aussi, la vie de frère Charles a le pouvoir de nous inspirer : qui, au moment de sa mort, lui aurait prédit une telle fécondité? En ce qui me concerne, Charles de Foucauld demeure un modèle de foi et d’espérance tenaces. J’avoue que j’ai encore beaucoup à découvrir sur lui et sur la grande famille spirituelle qu’il a suscitée. Il me semble qu’il est un témoin d’une actualité brûlante pour notre époque en mal de fraternité, de rencontre, de réconciliation et d’espérance.

En «composant» mes armoiries épiscopales, je voulais présenter à la fois mes enracinements et mes convictions profondes, non seulement pour mon ministère, mais aussi pour l’avenir de l’Église d’ici. En plaçant sur mon blason (avec permission des autorités!) le coeur surmonté d’une croix, je voulais manifester mon appartenance à la grande famille spirituelle de Charles de Foucauld. J’entends accomplir mon ministère épiscopal dans son esprit de fraternité universelle, avec une attention soutenue aux plus petits, aux plus pauvres, à la sainteté qui se manifeste chez les plus humbles, au quotidien, comme Jésus à Nazareth. Je veux aussi redire ma conviction que nous sommes appelés à être une Église qui sait «s’enfouir dans la pâte», pour mieux faire route avec le monde de ce temps, solidaire des joies et des espoirs, des tristesses et des angoisses de nos frères et soeurs en humanité. Sur ces chemins de rencontre, nous sommes appelés à rendre témoignage, par notre vie et notre exemple (non pas d’abord avec des paroles et des discours, mais par des actes et en vérité; cf. 1 Jn 3), à cet amour premier de Dieu, à ce coeur brûlant du Christ qui est le coeur même du Père, amour fou, vie donnée jusqu’à la croix.

C’est aussi ce que Marie chante dans son Magnificat, d’où ma devise : «Son amour s’étend d’âge en âge». Vous comprendrez que, pour moi, «Nazareth», c’est aussi Marie, femme de son peuple, femme de son époque, femme de contemplation et d’action. Je crois, en ce sens, en une Église «mariale». Sur mon blason, le symbole du bienheureux frère Charles côtoie celui des «petits frères de Marie», fondés par saint Marcellin Champagnat. Je pense que, dans la communion des saints, ces deux-là sont des amis intimes. Le premier dit : «fraternité universelle»; le second dit : «humilité, simplicité, modestie». Ensemble, ils témoignent : «Dieu nous a aimés le premier, à la folie. À nous de répondre à cet amour, en donnant notre vie à notre tour.»

Que le Seigneur nous donne de construire ensemble, sous le regard de frère Charles et de tous les bienheureux, cette Église de l’amour fraternel, signe de son Amour!

+ Alain Faubert
Évêque auxiliaire à Montréal

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Sur le parvis, une fête qui fait un petit clin d’oeil à cette ville, ce monde que Dieu aime.

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Avec mes confrères et amis Jean Fortier et Jean Boyer.

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