Grégoire CADOR, Aux amis du diocèse, 23 Juillet 2015

P. Grégoire CADOR

Tokombéré, le 23 juillet 2015

Aux amis
du diocèse de Maroua-Mokolo
et de Tokombéré

Chers amis,

Trois mois se sont encore passés depuis mon dernier courrier du 23 Avril…

Beaucoup de choses…

Je ne peux pas ne pas commencer par la nouvelle qui vous a déjà rejoints (les nombreux mails que j’ai reçus depuis en sont la preuve) du double attentat kamikaze qui a eu lieu hier après-midi au marché central de Maroua…

2 jeunes filles pour ne pas dire des fillettes ont explosé aux deux extrémités du marché central de Maroua provoquant plus d’une dizaine de morts sur le coup et des dizaines de blessés. Le bilan sera certainement très lourd.

Le marché central est le véritable cœur de Maroua. On vient de toute la province pour s’y ravitailler et il est toujours rempli de monde… C’est là que nous faisons nos courses hebdomadaires ! Ces attentats font suite à ceux de Fotokol, 250 kms plus au Nord, qui ouvraient le bal des attentats kamikazes au Cameroun le 13 Juillet dernier.

Nous savions que tôt ou tard le Cameroun allait s’ajouter à la longue liste des pays victimes de ce type d’attentats. Ils sont la marque de la violence aveugle et inouïe dont font preuve ces fous soi-disant religieux qui veulent enflammer le monde actuellement. Boko Haram depuis quelques temps revendique son appartenance à DAESH et se fait appeler désormais « Etat Islamique en Afrique de l’Ouest » ce qui n’est pas pour rassurer et montre que les ramifications de cette lèpre fanatique continuent de s’étendre un peu partout.

J’ai eu de nombreux contacts avec des amis musulmans suite à l’attentat, tous sont révulsés devant l’horreur et veulent resserrer les liens entre les communautés pour faire front ensemble.

La lueur d’espoir dont je parlais dans mon dernier courrier due à l’élection du nouveau président nigérian tarde à se transformer en torche de la victoire… Pendant ce temps les terroristes prouvent qu’ils ont encore beaucoup de ressources et de détermination.

Nous aussi nous devons entretenir notre détermination. Pour cela, je vous redis avec beaucoup d’insistance que nous avons besoin de l’engagement sans faille de vous tous dans tout ce qui peut aider le monde à rester serein : Prière, réflexion, rencontre, conversion du regard, des cœurs et des mentalités… et tout ce que vous saurez imaginer pour favoriser la fraternité universelle. C’est urgent et plus important que n’importe quelle mobilisation militaire aussi justifiée puisse-t-elle être !

A la fin de l’année pastorale en mai dernier nous avons eu une belle rencontre des équipes apostoliques des 12 paroisses et districts de la zone. J’ai été frappé, ému même, de voir comment  les communautés qui sont proches de la frontière et qui ont vécu des choses très difficiles, ont toute commencé leur compte-rendu, sans concertation, en remerciant les autres communautés de les avoir soutenus dans la prière qu’elles avaient ressentie ‘’physiquement’’… Cela rejoint tout à fait mon expérience personnelle à Tokombéré. C’est pourquoi je me permets d’insister : la communion des saints est une réalité qui nous dépasse mais qui nous tire au-dessus de nous-mêmes et nous permet d’annoncer l’espérance au cœur de la nuit…

Nous avons pu, à la fin du mois de mai, célébrer une messe pour les victimes de Boko Haram, présidée par l’évêque lui-même à Ldubam-Torou, sur la frontière avec le Nigéria là où vivait Luc Berke, l’administrateur de district dont je vous parlais dans mon courrier d’octobre 2014. Grande émotion quand nous avons lu devant une église pleine à craquer la longue liste des victimes de tous âges. Tout le monde ou presque les connaissait et avait des souvenirs en commun. Monseigneur a rendu grâce pour le témoignage de nos communautés qui sont restées au cœur de la tourmente pour dire qu’il est possible de vivre en frères…

Nous avons d’ailleurs choisi comme thème pour la nouvelle année pastorale au niveau diocésain : « Vous serez mes témoins jusqu’aux extrémités de la terre » (Actes 1,8).

Les extrémités de la terre c’est là où je suis, au moment où j’y suis… Ce thème mobilise donc tous ceux qui se reconnaissent disciples du Christ. Il n’est pas réservé aux missionnaires qui partent au loin… Là aussi, nous sommes ensemble !

Quelques nouvelles de la paroisse de Tokombéré et du Projet de promotion humaine :

Les jeunes agriculteurs de Kotraba (j’hésite à les appeler encore jeunes, depuis le temps !) ont vécu leur assemblée générale annuelle et nous ont fait part de leur souci devant la recrudescence de vols dans leur quartier. Après réflexion, ils ont décidé de demander et ont obtenu du sous-préfet, le droit de se constituer en comité de vigilance officiel ce qui leur donne autorité pour interpeller les malfaiteurs et les déférer chez le chef de village. Il semble que cela porte du fruit et en tout cas leur redonne courage…L’année dernière n’a pas été une bonne année au niveau des récoltes pour eux mais celle qui commence s’annonce apparemment très bien… Croisons les doigts !

La visite de notre évêque au collège Baba Simon a été l’occasion de faire le point avec lui et de lui faire découvrir les nombreux soucis que nous avons pour maintenir une structure éducative de qualité au service des pauvres… Avec lui nous réfléchissons des moyens à mettre en œuvre pour continuer ce qui est la mission première de l’Eglise : Annoncer l’Evangile aux pauvres en prenant avec eux le chemin du développement.

Grand changement annoncé au niveau de l’école primaire. Monsieur Albert Avindangway, directeur de l’école St Joseph et conseiller pédagogique de la zone Mayo-Sava nous quitte à la rentrée pour continuer à servir plus près de chez lui. Nous rendons grâce pour l’énorme travail qu’il a abattu en collaboration avec nous. C’est avec lui qu’Emilie Martin dans un premier temps et Danièle Morice surtout ont beaucoup travaillé pour la mise en place de la nouvelle programmation dans nos écoles. Nous lui souhaitons bonne continuation ainsi qu’à Pauline sa femme et à ses dix enfants… et nous accueillons avec joie notre nouveau directeur, M. Mota Sébastien, qui semble bien décidé à continuer le travail entrepris par son prédécesseur.

En mai, nous avons vécu une belle journée de récollection avec les 50 catéchistes de la paroisse accompagnés de leur épouse. En ce moment nous réfléchissons avec eux comment mieux structurer leur travail et leur engagement au service des communautés. C’est pourquoi l’envoi en mission, qui a traditionnellement lieu le jour de la Pentecôte, a été reporté au début de septembre.

Le 23 mai, les jeunes, sous la houlette du P. Justin, ont lancé la troisième édition des Portes de l’Avenir. Actuellement ils mettent sur pied des activités en tout genre dans les divers secteurs de la paroisse. Nous conclurons le tout par le rassemblement paroissial des jeunes du 12 au 15 août au cours duquel nous célébrerons les quarante ans de la mort de Baba Simon le 13 août 2013.

Cet anniversaire sera aussi l’occasion d’un pèlerinage de prêtres appartenant à la famille Jesus Caritas (famille spirituelle de Charles de Foucauld) que Baba Simon a fondée au Cameroun et en Afrique. Le P. Justin et moi-même sommes membres de cette fraternité. Nous attendons une petite vingtaine de prêtres tchadiens et une dizaine de prêtres camerounais qui veulent enraciner leur engagement dans l’exemple de Baba Simon.

J’ai eu la joie de revoir bon nombre d’entre vous lors de mon récent congé en France même si j’ai regretté de ne pas avoir eu l’occasion de rencontrer tout le monde et notamment la communauté chrétienne de La Flèche. Cela ne m’empêche pas de vous garder tous dans ma prière en espérant qu’il en est de même…

Nous sommes ensemble.

Grégoire

Au cours de mes lectures récentes, je suis tombé sur le « petit traité de la joie » de Martin Steffens (Editions salvator 2011). Je vous en propose un extrait qui invite à l’engagement au cœur de la réalité telle qu’elle est qui est tout autre que la résignation. Pour tous ceux qui ont un combat à mener contre l’adversité, la maladie ou toute autre forme de souffrance, il est tonifiant :

 « Il faut non seulement distinguer mais opposer consentement et résignation. Le oui de l’un diffère du tout au tout du oui de l’autre. La résignation est de ces oui qu’on dit du bout des lèvres. Son intensité est lâche comme le sont ses filets : le résigné dit oui à tout, même au mal par lequel il se laisse abattre. Le consen­tement, au contraire, en clamant haut et fort son adhésion, offre sa voix à ce qu’il y a de puissant dans la vie. Tout oui véritable dit non à la mort. Or la résignation, en baissant les bras, en les privant soudain du tonus qui tient le mal éloigné, les ouvre à tout-va. Elle est un oui qui ne sait pas dire non à ce qui, pourtant, doit mourir. Elle n’a que l’apparence du oui puisqu’elle n’est jamais qu’un renoncement. Son adhésion est une adhérence : la résignation nous plombe un peu plus, comme la mouche collée au fond d’un verre s’arrête enfin de remuer les ailes. Le consentement, de son côté, ouvre énergiquement les bras. Mais par-là, il circonscrit le champ de son adhésion : il embrasse pour étreindre et, dans son étreinte, se ferme à la mort. Quand on dit : « Oui, je veux vivre, malgré tout », quand on affirme : « Si telle est mon épreuve, alors je la vivrai », on ajoute sa puissance à la puissance de vie qui nous anime. Si le consentement a en effet quelque chose du laisser-être (on touche avec les yeux), il n’a rien du laisser-aller : l’homme qui consent reconnaît la limite de son pouvoir sur les choses. Mais cette défaite est sa plus grande victoire : il ne s’agit plus de défaire ce qui fut fait mais de se défaire de son illusoire toute-puissance afin de donner à cette vie-ci, celle que nous avons à vivre, le meilleur de nous-mêmes.

En ne se refusant pas à l’épreuve, en prenant acte de ce qu’il y a à vivre, l’homme qui consent redistribue les armes et affronte le mal.

Consentir, c’est voir ce qui est, pour ne plus pleurnicher sur ce qui aurait dû être. C’est s’offrir au présent, prendre acte des forces en présence et y livrer la sienne – là où la rési­gnation n’est possible que d’avoir usé le présent à coup de « si seulement… ».

Un peu plus loin, Steffens cite Alain Cugno :

« L’acquiescement authentique à la souffrance ne vise pas la souffrance elle-même, mais le refus de l’esquiver, afin de pouvoir la surmonter de l’intérieur. »

Sursum Corda ! Haut les cœurs ! Il y a du pain sur la planche…

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