CAMEROUN, Grégoire CADOR, Lettre aux amis – 10 octobre 2015

Aux amis du diocèse de Maroua-Mokolo et de Tokombéré

Chers amis,

Les trois mois ‘quasi rituels’ sont déjà presque passés… Je reprends le clavier !

Je commence par les bonnes nouvelles et tout particulièrement par le grand évènement que nous venons de vivre lors des « journées diocésaines » (trois jours que nous passons chaque année à pareille époque avec 200 ou 300 responsables venus de toutes paroisses pour la ‘’rentrée’’ des activités pastorales).

Il s’agit de la remise au P. Christian, par notre évêque et au nom du Pape, de la médaille « Pro Ecclesia et Pontifice » pour l’énorme travail abattu pour le service de l’Eglise au cours de ses 40 ans de présence missionnaire à Tokombéré.

Grande émotion de Christian bien sûr mais aussi de nous tous devant cette surprise, préparée très discrètement par l’évêque, et joie de la reconnaissance par le diocèse du travail de témoin de l’Evangile. Le nouveau thème pastoral pour l’année est « Vous êtes mes témoins » (cf. Ac 1, 8) il vient à la suite de celui de l’an passé « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » (Mt 28,20). L’évêque a voulu mettre en valeur le témoignage concret de Christian pour inciter chacun à s’engager concrètement à la suite du Christ. A cette occasion « Vie de l’Eglise » (le journal diocésain) a édité un très beau magazine spécial sur Christian et le Projet de Promotion humaine de Tokombéré.

La fête va continuer à St Germain des Prés lors du rassemblement des 13-14-15 novembre prochains à St Germain des Prés : « De la rencontre à la fraternité, pour un nouvel élan ». Si vous ne pouvez pas y être merci de vous y associer par la prière et l’action de grâce.

La vie continue à Tokombéré en ce temps où s’ouvrent les récoltes. Elles se présentent assez bien. Cela représente un énorme travail parce que tout a poussé en même temps ! Le dilemme est de savoir par où commencer… Un gros problème demeure cependant, dans de nombreux villages : celui du non-paiement de la production par la Sodecoton (société qui gère la production cotonnière de tout le pays). Beaucoup comptait sur cet argent pour payer les écolages et autres besoins si importants en cette période de rentrée… Là comme partout : Wait and see ! (Ici on dit facilement ‘Se Mounial’ ce qui peut se traduire par ‘patience’. Mon Dieu qu’il en faut parfois pour ne pas se décourager !)

Malgré cela les écoles ont repris un peu partout (sauf à l’extrême frontière ou la situation est encore bien difficile) mais le spectre kamikaze hante tout le monde… De nombreuses mesures ont été prises (plus ou moins bien appliquées selon les endroits et les moyens) : clôture, uniforme obligatoire, contrôle à l’entrée, interdiction des cartables ou autres sacs fermés… Cela ne résout pas tout… et quand on sait que dans le seul arrondissement de Tokombéré, au-delà de notre collège et de nos quatre écoles primaires, il y a plus de cinquante écoles publiques et une dizaine d’établissements secondaires, on mesure l’ampleur de la tâche. Les effectifs (augmentation par-ci, diminution par-là) sont à peu près stables dans nos établissements et le personnel bien présent. Le nouveau directeur de l’école St Joseph qui est en même temps conseiller pédagogique pour tout le département du Mayo-Sava prend peu à peu ses marques.

La maison du paysan a abattu un très bon travail concernant l’eau et les questions d’érosion et de réserves. De nombreux biefs ont été construits ou réhabilités. Il s’agit de micro-barrages installés en montagne sur le cours d’un mayo (cours d’eau de saison des pluies). L’objectif est de ralentir le courant, limitant ainsi l’érosion et donnant le temps à l’eau de rejoindre plus abondamment la nappe phréatique ce qui a pour effet de renforcer les puits environnants… Grand merci à l’association Mil et Blé pour l’appui très important qu’elle apporte à ce volet.

La pluie continue malgré tout à faire des dégâts sur les routes et la circulation en voiture reste très compliquée et source de nombreuses dépenses d’entretien pour les véhicules (que dire du dos des conducteurs et passagers qui en prend un coup à chaque voyage !)

Pour des raisons internes qui n’ont pas besoins d’être évoquées ici, l’atelier de couture n’ouvrira pas ses portes cette année, mais la Promotion féminine continue avec la mise en route des groupes dans les principaux secteurs de la paroisse. Une assemblée générale des femmes aura lieu à la fin du mois d’octobre.

L’atelier de menuiserie fonctionne (quand les nombreuses coupures d’électricité le permettent). Les menuisiers ont appris avec émotion, (grâce à l’attention très délicate de Pierre et Emilie Martin, fondateurs et premiers formateurs du groupe des menuisiers), le décès de M. Fouquet, menuisier sarthois, qui au moment de prendre sa retraite avait donné ses machines et son outillage pour le projet d’atelier de Tokombéré. Nous voulons lui rendre hommage ici et faire savoir à sa famille notre reconnaissance. La fraternité n’a pas toujours besoin de la rencontre pour s’exprimer, vous l’aviez bien compris et l’Evangile de ce dimanche nous le rappelait : Notre vie ne pèse, aux yeux de Dieu, que de l’amour qui la fait vivre… Merci à vous M. Fouquet et, comme on le dit au Cameroun, « Que la terre de vos ancêtres vous soit légère ».

Nous avons vécu, avec le Projet-Jeunes et le P. Justin, un très beau moment à l’occasion des journées de clôture des activités des « Portes de l’Avenir », dont je vous parlais dans le dernier courrier. Ce sont plus de 400 jeunes qui ont passé trois jours ensemble dans le cadre de la paroisse pour des temps de réflexion, d’activités culturelles, sportives, ludiques et pour la prière qui a culminé avec la célébration du 15 août ou les 40 communautés de la paroisse se sont retrouvées sur la colline Baba Simon pour célébrer Dieu en l’honneur de Marie, de Baba Simon (dont c’était le quarantième anniversaire de l’entrée dans la Vie) et de Christian (dont nous fêtions, en paroisse cette fois-ci, le quarantième anniversaire de présence missionnaire à Tokombéré). Pour ceux que cela pourrait intéresser, je mets en pièce jointe l’homélie que j’ai prononcée ce jour.

Avec les catéchistes, nous avons pris le temps de bien réfléchir sur la ‘vérité’ et la ‘qualité’ de notre engagement en ces temps difficiles où les communautés sont en droit d’attendre une parole vraie et claire pour ne pas perdre le Nord… Nous avions l’habitude, chaque année, de faire l’envoi en mission à la Pentecôte. Cette année nous avons préféré attendre la fin du mois de septembre pour vivre ce temps très important de la vie paroissiale. Je me permets de recommander à votre prière chacun de nos 40 catéchistes ainsi que leurs familles (souvent fort nombreuses !).

Avec eux et avec l’Equipe d’Animation Pastorale nous avons préparé les « week-ends de rentrée » qui auront lieu dimanche prochain simultanément dans les 6 secteurs de la paroisse. Dans le cadre de notre thème diocésain, nous réfléchirons avec l’ensemble de la communauté chrétienne sur l’absolue nécessité de se laisser rencontrer et connaître par le Christ pour pouvoir devenir réellement ses témoins dans notre vie de tous les jours. En partant de témoins de cette rencontre (de Marie de Nazareth au possédé Gérasénien en passant par Paul de Tarse, la Samaritaine, le Centurion au pied de la Croix et bien d’autres) nous cheminerons au cours du trimestre pour arriver à chacun et chacune d’entre nous : « Et moi, comment et où ai-je rencontré Jésus ? Qu’est-ce que la rencontre et le chemin que je fais avec lui provoque en moi ? Comment est-ce que je témoigne de Jésus ? »

Au niveau de la zone pastorale du Mayo-Sava j’ai été pas mal occupé ces derniers temps par la passation de service dans quatre paroisses qui changeaient de curé. C’est intéressant parce qu’il s’agit, avec les personnes en responsabilité dans la communauté chrétienne, prêtres ou laïcs, de faire le point sur la vie de la communauté, ses capacités, son dynamisme, mais aussi ses limites, ses zones d’ombre. On s’aperçoit que, si beaucoup ont vraiment compris ce que voulait dire prendre des responsabilités en Eglise, certains ont besoin de revoir leur manière d’être ou de faire pour vivre une véritable coresponsabilité… Nous sommes là devant un problème universel !

Nous avons aussi vécu la journée de rentrée de la zone avec une quarantaine de responsables venus des 10 paroisses qui la compose. Ensemble nous avons partagé les nouvelles et mis sur pied le programme de notre centre de formation de la zone. Nous avons aussi pris acte, bien douloureusement, des nombreux départs de religieuses rappelées par leur congrégation (des 21 religieuses présentes il y a deux ans il en reste 5 !)

C’est pour moi une question terrible… Si je comprenais (un peu) une telle réaction à chaud, le temps de prendre du recul et de se ressaisir, je suis en revanche scandalisé (tenté de tomber) devant le refus de revenir à cause des risques… Nous sommes en train de poser des gestes contreproductifs qui engagent l’avenir de façon dramatique… Si nous pasteurs et responsables pastoraux ne sommes pas fidèles à l’appel : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (fusse au risque du sang) alors nous laissons la place aux barbares qui n’attendent que ça pour s’installer en ‘libérateurs’… Si nos supérieurs nous ont reconnu(e)s aptes à donner notre vie au moment de notre ordination ou de nos vœux de quel droit reprennent-ils ce droit au moment où l’occasion est venue (peut-être ou peut-être pas) de le faire jusqu’au sang. Si nous, les annonceurs de la Bonne Nouvelle, nous plions alors qu’en sera-t-il de nos jeunes confrères ou sœurs quand le problème s’aggravera ?…

Le monde d’aujourd’hui a plus que jamais besoin de témoins et nous ne devons pas oublier la racine grecque de ce mot.

La mission, bien au-delà de la logique des ONG aussi compétentes qu’elles puissent être c’est : Etre avec, comme Jésus à Emmaüs… Porter le poids du jour et de la chaleur et se mettre au service d’une Parole qui vient de plus haut, qui fait autorité et qui touche les cœurs…

Heureusement, nous avons vécu ces dernières semaines deux engagements de religieuses camerounaises dans des congrégations internationales d’origine françaises. Les supérieures concernées sont venues, certaines depuis la France, pour entourer leurs jeunes sœurs, et nous aurons bientôt la visite d’autres supérieures européennes. Cela redonne de l’espoir.

A chaque fois que je me rends dans les paroisses et communautés proches de la frontière, je suis impressionné par la qualité de don de soi qu’y vivent les chrétiens. Ils ont vraiment besoin de notre soutien (et du vôtre, merci d’avance !) mais ils sont aussi pour moi une source de réconfort et d’inspiration. Deux jours après la rencontre de zone que j’évoquais plus haut, un des responsables qui était avec nous perdait sa petite fille de 8 ans, Fidèle, tuée devant chez lui par un kamikaze à peine plus âgé qu’elle ! Nous sommes là au cœur de l’abomination. Demandons à Dieu de nous donner la haine du péché en nous-mêmes pour pouvoir aimer le pécheur qui nous fait du mal…

Je mets en pièce jointe de ce courrier un article écrit par un journaliste de RFI récemment venu dans la région. Il me semble, malheureusement, donner un bon aperçu de ce que nous vivons dans la région ces derniers temps…

Merci de rester à nos côtés et de vos nombreux, petits ou grands, signes de communion…

Bonne semaine missionnaire à tous !

Nous sommes ensemble…

Grégoire

Comment parler de Dieu aujourd’hui ?

Il n’y a pas de réponse technique ou théorique, mais nous avons, chacun de nous, à être une réponse, une réponse que nous ne comprenons pas, mais que nous sommes, en suivant le Verbe sur son chemin de croix (et de joie). Il ne s’agit plus d’avoir une rhétorique sublime ni de se vanter de n’avoir aucune rhétorique. L’essentiel n’est pas du côté de l’avoir mais de l’être. L’essentiel est d’être, avec le Christ, une parole vivante et livrée à autrui, et donc moins d’avoir une parole sur Dieu que d’être les uns pour les autres une parole de Dieu. Vos adversaires ne pourront y résister. Ce qui leur sera assez insupportable. Ne pouvant vous clouer le bec, ils essaieront de vous clouer tout entier. Et c’est pourquoi, avec un peu de chance, ils vous mettront à mort. Le langage de la Croix aura atteint alors son maximum d’efficace, puisque, malgré eux, vos bourreaux achèveront votre conformation à la Parole crucifiée…

Fabrice Hadjadj,
Comment parler de Dieu aujourd’hui,
Salvator, Paris, 2012, p.214-215

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