Denis SEKAMANA, Iesus Caritas, Frère Charles, le visage de la miséricorde

Abbé Denis SEKAMANA

“LE VISAGE DE LA MISERICORDE”

Chers frères,

A l’annonce de l’année sainte de la miséricorde,qui correspond au centième anniversaire de la naissance au ciel de frère Charles(1916-2016),j’ai immédiatement pensé à la vie qu’il a menée depuis sa conversion.Une vie qu’il a voulue identique à celle de celui qu’il a découvert à Nazareth et dans les Saintes Ecritures qu’il lisait et méditait chaque jour.

Charles a été ébloui par le visage miséricordieux de celui qu’il appelle désormais”son Bien-Aimé Frère et Seigneur Jésus”. Nous constatons alors qu’il est une véritable illustration du message que le Saint Père nous propose pour cette année dédiée à la miséricorde,à savoir:“Revivre les oeuvres de miséricorde corporelles et spirituelles:donner à manger aux affamés,donner à boire à ceux qui ont soif,vêtir ceux qui sont nus,accueillir les étrangers,assister les malades,visiter les prisonniers,ensevelir les morts”.Puis”conseiller ceux qui sont dans le doute,enseigner les ignorants,avertir les pécheurs,consoler les affligés,pardonner les offenses,supporter particulièrement les personnes ennuyeuses,prier Dieu pour les vivants et les morts”.

Nous connaissons le verset de l’Evangile qui hantait littéralement le Coeur de Charles et ne cessait de le faire battre:”Ce que vous avez fait à l’un de ces petits d’entre les miens,c’est à moi que vous l’avez fait…et ce que vous n’avez pas fait à l’un de ces petits,à moi non plus vous ne l’avez pas fait” (Mt 25,40-45).Disons que Charles à communié intensément à la table de l’abondance de la miséricorde du Christ et s’est offert pour dresser cette même table aux âmes les plus démunies de Jésus et de tout ministère sacerdotal. Alors,il s’est fait pélerin et missionnaire à la recherche des brebis les plus galeuses qui soient.

Son histoire nous le montre accueillant caravaniers,militaires et bédouins des oasis du désert sans distinctions aucune.Tout le monde connaît le chemin de sa maison,tout le monde se sent chez lui comme chez soi,pour y vivre les biens de la fraternité.Charles partage le peu qu’il a jusqu’à la dernière bouchée.

De son temps,il se pratiquait un commerce sauvage et éhonté des esclaves et surtout celui des enfants.Ses protestations contre ce fléau se sont faites ressentir jusque dans le Parlement de sa France natale.Il a risqué de se mettre à dos tous les puissants escrocs de l’ignoble trafic.

Nous savons aussi que Charles s’est improvisé en infirmier soignant les infortunés des Sables du Sahara et Dieu sait à quelles épidémies il avait à faire face.Et bien que fort peu équipé,le simple fait de visiter ces malades,de les toucher,de se montrer soucieux de leur état,les soulageait déjà et marquait la différence entre lui et tous les autres.

Nous savons enfin qu’il s’est préoccupé du développement matériel de ceux don’t il se sentait déjà responsable.Il a introduit chez eux la couture,le tissage,le tricotage et la culture des denrées alimentaires qui manquaient cruellement à leur mieux-être.Aurait-il rate l’occasion de leur apprendre à tirer du fromage du lait de leurs chèvres et moutons?Pour sûr,ils ont appris de lui comment se faire une maison plus habitable et plus durable qu’ils n’avaient pas auparavant.

Curieusement,tout prêtre qu’il était et tout zélé s’il en fut,il n’a jamais pensé à prêcher ni à célébrer au milieu des disciples d’Allah si revêches au Fils de Dieu!Pourtant son Coeur brûlait d’amour pour son Bien-Aimé.Et c’est pour lui qu’il marche et se trouve là au milieu de ces gens.Il va leur prêcher autrement,non par sa bouche,mais par son coeur noble,tendre,bienveillant,soucieux et respectueux.Il s’incarne lui-même chez eux,alors non seulement il prêche,mais il crie l’Evangile par toute sa vie,à travers ces gestes et multiples petites choses d’amour par lesquels il va essayer d’adoucir leur vie dure et rude.Il va déployer un apostolat de bonté,de présence et d’amitié;un apostolat qui soit un langage bien plus puissant que toute la théologie du monde;un apostolat qui va faire de lui un frère universel.

En ce centième anniversaire de la mort de Charles qui correspond à l’Année Sainte de la miséricorde,il nous initie à un nouveau style et à une nouvelle méthode d’apostolat,qui,en somme,est celui du Christ qui “passait partout en faisant du bien”(Ac 10,38).”Mon apostolat doit être celui de la bonté.En me voyant qu’on puise dire:si cet homme est bon,sa religion doit etre bonne.Et si on me demande pourquoi je suis doux et bon,je leur répondrais que c’est parce que je suis disciple d’un plus bon que moi.Si vous saviez combien est bon mon Maître!Je voudrais être tellement bon pour eux jusqu’à ce que,eux-même disent:si tel est le disciple,comment donc est son maître?”.

Charles a eu toute une vie qui parlait de Jésus et il nous invite à faire de même.Et c’est cela même que nous demande le Maître:”Pour vous qui suis-je?Qui dites –vous que je suis?”(Lc 9,20).Notre devise à tous devrait être la suivante:”Que les paroles se taisent et que les actions parlent”.Voilà un apostolat qui ne s’use pas,et,un langage que tout homme de bonne foi comprend et désire entendre tout le temps.

Bonne Année et Bon Anniversaire.

Denis SEKAMANA

Jean-Claude BOULANGER. Charles de Foucauld et Therèse de Lisieux

Les grandes lignes de leur spiritualité

Ces deux grands témoins de la foi qui ont marqué la spiritualité du XX° siècle sont très différents par leur enracinement humain et spirituel mais aussi par leur situation ecclésiale. L’un est prêtre, et même missionnaire en terre d’Islam. Thérèse est Carmélite et vit au milieu d’une communauté. Ils ont vécu essentiellement la deuxième moitié du XIXème siècle. Mais Charles de Foucauld meurt en 1916. Il va connaître la première guerre mondiale et les lois de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Charles de Foucauld est issu d’une famille aristocratique dont les ancêtres remontent à Saint Louis. La devise de ses ancêtres, essentiellement des militaires, était « jamais arrière ». On comprend mieux le tempérament de feu de cet homme. En même temps, c’est un grand intellectuel qui a su mettre son intelligence au service des plus pauvres. On peut dire de lui que c’est un explorateur, assoiffé de découvertes. On aurait pu croire qu’il resterait l’homme des châteaux ou l’officier, défenseur des valeurs patriotiques et colonisatrices. Il est devenu l’homme qui est allé à la rencontre de l’inconnu, de la différence, de l’étranger. Il a été un prêtre assoiffé d’absolu, un authentique missionnaire en terre d’Islam, vivant seul au milieu des pauvres. Finalement, il a su assumer les contradictions de sa propre histoire.

Thérèse de l’enfant Jésus et de la sainte Face est née à Alençon, dans une famille commerçante et entreprenante. Louis Martin était horloger-bijoutier et Zélie sa femme à tenait une petite fabrique du point d’Alençon pour laquelle une douzaine de femmes travaillaient. On peut dire qu’ils faisaient partie de la petite bourgeoisie Alençonnaise, tout en refusant d’en partager l’esprit mondain. Toutes les sœurs de Thérèse seront religieuses. Elle aura trois sœurs au Carmel de Lisieux et une sœur, Léonie, qui sera visitandine à Caen. Autant Charles de Foucauld rêvera toujours de fraternité et de communauté, mais vivra seul, autant Thérèse a fait l’expérience de naître dans une famille nombreuse : cinq filles survivantes sur neuf enfants. Au Carmel de Lisieux, elle fera l’expérience très concrète de la vie en communauté.

Qu’est-ce qui peut rapprocher ces deux témoins, si différents les uns des autres ?

Comme l’écrit Paul Claudel : « Pour comprendre une vie comme pour comprendre un paysage, il faut choisir le point de vue et il n’en est pas de meilleur que le sommet » (Théâtre II – La Pléiade – p. 1514). On peut dire qu’il y a déjà une communion des saints dès ici-bas. L’un et l’autre s’ignoraient même si Charles de Foucauld a dû entendre parler de « l’Histoire d’une âme  » parue en 1898. Il n’y fait aucune allusion dans ses écrits. Pour résumer la vie de ces hommes et de ces femmes de foi, on pourrait dire qu’ils ont fait de la religion une histoire d’amour pour Jésus et leurs frères en humanité. Une même passion les animait : « A cause de Jésus et de l’évangile ». Parce que c’est toujours Jésus et l’évangile que l’on reconnaît à travers les saints. La rencontre du Christ a bouleversé leur vie et en même temps, ils ont été mus par cette soif de la Parole de Dieu. Ils ont été de véritables amoureux de Jésus et c’est en se mettant à l’écoute de l’évangile qu’ils ont découvert le cœur de Dieu. C’est l’évangile qui était leur G.P.S., leur carte Michelin. En même temps, ils ont compris que l’évangile a été écrit, non pour être lu mais pour être vécu, comme le dira Madeleine Delbrêl.

La petite voie de Nazareth

Ils ont vécu intensément la vie cachée de Jésus de Nazareth. Ils ont communié à son enfantement comme Marie à Nazareth, à sa naissance dans la mangeoire d’animaux, à Bethléem, à son mûrissement pendant les trente ans de vie obscure à Nazareth. Ils ont vécu par toute leur vie, le mystère de l’incarnation, de la mort et de la résurrection de leur maître et Seigneur. Ils y ont communié mystérieusement dans leur chair, en particulier pour Thérèse. Ils ont été comme le grain de blé jeté en terre, à la manière de frère Charles, mort au cœur de nos déserts humains. Et pourtant, sans voir l’éclosion de la Pentecôte, ils ont eu assez de foi pour en pressentir les fruits. Ils ont tenu bon dans la foi, espérant contre toute espérance, en croyant que la fécondité de leur offrande, serait l’œuvre de l’Esprit-Saint. Ils avaient assez de foi pour croire que la fécondité de Dieu traverse nos stérilités humaines. C’est ainsi qu’ils ont été de grands missionnaires. Ils ne se sont pas contentés de réaliser les œuvres de Dieu, tout en étant fidèles à l’église, ils sont devenus eux-mêmes l’œuvre de Dieu. Ils sont passés par la Passion, avant de communier à la Résurrection du Christ et à la Pentecôte. C’est ainsi qu’ils ont vécu le Mystère Pascal, dans leur propre histoire. Ils ont aussi découvert que Dieu a écrit droit avec les lignes courbes de leur vie, parce qu’ils ont su peu à peu s’abandonner entre ses mains. Ils ont assumé les failles de leur histoire, de leurs blessures affectives et psychologiques, des nuits de la foi qu’ils ont pu traverser, les lourdeurs institutionnelles ecclésiales qu’ils ont rencontrées. A travers tout ce vécu, ils ont su vivre l’abandon entre les mains du Père comme Jésus sur la croix. A travers ces failles, l’Esprit de Dieu s’y est introduit et il les a pacifiés de son amour. Ils n’ont pas été des censeurs, ni des juges de leur époque. Ils ont voulu la sauver à la suite du Christ Sauveur. Ils ne sont pas venus pour condamner l’histoire mais pour la libérer des forces des ténèbres. Ils ont voulu être des sentinelles de l’Invisible pour leur temps. A une époque où la société vantait le progrès, la science et la puissance de l’atome et où l’église de France se repliait sur elle-même et défendait ses institutions, ils ont su s’ouvrir à l’impossible de Dieu. Au moment où l’homme se faisait Dieu, ils ont cru en Dieu qui devient homme. Au moment où l’amour de la force et de la puissance, de la race et de la classe sociale allait dominer le monde, ils ont cru à la force de l’amour et de la fraternité. Au moment où tant de chrétiens vivaient cette période de l’histoire comme un déchirement et une mort, ils ont cru que de la mort, même physique, la vie de Dieu peut jaillir.

Ce qui a unifié leur vie, c’est à la fois cet amour de Jésus et l’amour de leurs frères en humanité, en particulier les plus petits, les plus blessés de la vie. Comme l’écrira Charles de Foucauld, ils ont voulu voir en tout être humain, le visage du Christ, le visage du frère. Par leur vie, ils ont été solidaires des hommes de leur temps. Que ce soit Charles de Foucauld avec les Touaregs, que ce soit Thérèse auprès des incroyants, avec tous les souffrants de la terre dans cette période la plus tragique de l’histoire, on peut dire qu’ils n’ont pas déserté le monde qui les a vus naître.

Des disciples-missionnaires.

Tous deux ont été d’authentiques disciples de Jésus, témoins de la foi. Ils sont allés au cœur de la foi, en communiant au Mystère pascal et en assumant un authentique combat spirituel de chaque instant. Ils ont assumé cette part de nuit de la foi, au point de traverser l’épreuve du vide, dans cette nudité ultime dont parle Saint Jean de la Croix. Ils ont communié à la solitude du Christ au jardin de Gethsémani alors que les disciples dormaient. Ils ont veillé avec lui au point de dire : « Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Charles de Foucauld n’ira-t-il pas à se comparer, en 1910, à l’olive que l’on a oubliée sur l’olivier, après la cueillette ? Et si Dieu l’avait oublié sur cette terre désertique, au fond du Sahara ? A la suite de Saint Jean de la Croix, ils ont compris que la foi est le seul moyen proportionné, adapté pour toucher Dieu. Il ajoutait : « Nous n’avons que cette vie pour vivre de foi » (St Jean de la Croix)

En même temps, ils ont fait confiance aux médiations humaines. Ils ont été fidèles à l‘église du Christ, contre vents et marées. Et Dieu a mis sur leur chemin, les témoins et les guides dont ils avaient besoin pour naviguer au grand large, en pleine tempête. Nous n’aurions pas Charles de Foucauld sans l’abbé Huvelin. Nous n’aurions pas Thérèse sans sa famille, et en particulier son père. Elle dira de ses parents qu’ils étaient plus dignes du ciel que de la terre. Enfin, ils ont été d’authentiques missionnaires car la mission est toujours un rayonnement d’amour. Ils ont été sur cette terre transfigurés par l’Amour. Thérèse écrira : « Je voudrais éclairer les âmes, parcourir la terre. Je voudrais verser mon sang pour Toi, Jésus, jusqu’à la dernière goutte ».

Mais pour se laisser posséder par l’Amour, il faut accepter sur cette terre de se laisser déposséder de soi-même, puisque l’on dit que même notre ego continue encore d’exister quelques instants après notre mort. Thérèse pourra dire : « Je ne vois pas ce que j’aurai de plus au ciel que sur la terre ; je verrai Dieu, c’est vrai. Mais pour être avec lui, j’y suis déjà, dès ici-bas ».

Peut être que ce qu’a écrit Edith Stein (devenue Sœur Thérèse Bénédicte de la croix), après avoir lu « L’histoire d’une âme » pourrait résumer ces deux itinéraires : « Je me trouve devant une vie humaine, uniquement et totalement traversée jusqu’au bout par l’Amour de Dieu. Je ne connais rien de plus grand, et c’est un peu cela que je voudrais autant que possible transporter dans ma vie et dans la vie de ceux qui m’entourent ».

La dernière place.

Ce qui est étonnant à travers ces témoins, c’est qu’ils aient été des passionnés de Dieu, des amoureux de Jésus seul. « Je ne pouvais vivre que pour Dieu seul » dira Charles de Foucauld au moment de sa conversion. Thérèse écrira une poésie « A Jésus seul » A leur manière, ils ont voulu imiter Jésus serviteur, être en compagnie de Jésus qui a pris la dernière place, au nom de tous ceux qui l’ignorent, croyant au nom de ceux qui ne peuvent croire. Charles de Foucauld ne dira-t-il pas : « Jésus a tellement pris la dernière place, que personne ne pourra la lui ravir ». Cette phrase avait sans doute été prononcée par l’Abbé Huvelin. Or, cette passion pour Jésus va le transfigurer de l’Amour Trinitaire. Jésus n’a-t-il pas dit : « C’est la gloire de mon Père que vous portiez beaucoup de fruits, et vous serez alors mes disciples. Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez en mon Amour. » (Jean 15,8-9). A Noël 1886, Thérèse dira : « Jésus avait changé mon cœur ». Elle a reçu cette force d’âme qui l’a fait comparer à la vocation d’apôtre. « En cette nuit de lumière, je sentis la charité entrer dans mon cœur. Depuis lors, je fus heureuse ». Dix ans plus tard, elle dira qu’elle se sent appelée à toutes les vocations en relisant l’hymne à la charité de Saint Paul.

A leur manière, ils ont vécu une présence silencieuse de Jésus parmi les hommes, non seulement une présence évangélique mais une présence évangélisatrice et profondément missionnaire à travers l’acte d’offrande de leur vie. Au moment où meurt Thérèse à Lisieux, le 30 septembre 1897, Charles de Foucauld est à Nazareth chez les Clarisses et il écrit une lettre au Père Jérôme qui est Trappiste. Thérèse meurt en regardant son crucifix et elle dit : « Oh, je l’aime ! Mon Dieu je vous aime ». A ce moment-là, à des milliers de kilomètres de là, Charles de Foucauld écrit : « Peines de l’âme – Souffrances du corps – Réjouissons-nous et tressaillons de joie – Jésus nous appelle, nous dit de lui dire que nous l’aimons et de le lui répéter aussi longtemps que dure notre souffrance. Il nous demande une déclaration d’amour et une déclaration durant aussi longtemps que la croix ».

Conclusion :

Au moment où nous découvrons les effets de la mondialisation, ces témoins ont vécu dans un espace restreint, à l’image de Jésus à Nazareth, à une époque donnée, avec les limites et les richesses de cette époque. En même temps, on peut parler d’une mondialisation spirituelle, en particulier pour Thérèse. Ses reliques ont parcouru les différents continents. Mais plus que de mondialisation, ces deux témoins nous parlent de communion fraternelle.

Ils ont vécu sur deux siècles qui ont vu s’affronter les grandes nations de l’Europe dans des conflits tragiques. Il faut rappeler que la France a connu trois guerres en 70 ans (1870 – 1940). Or, ces témoins englobent ce laps de temps. Nos champs de bataille sont l’illustration de ce que peuvent produire la haine et la violence. Ces témoins nous révèlent le sens du pardon, de l’amour et de la fraternité. A la place de la vengeance et de la haine, ils ont communié au mystère de la croix et vécu l’acte d’offrande de leur vie à Dieu par amour.

Alors que la culture des lumières (1789- 1989 : chute du mur de Berlin) allait pendant deux siècles vanter les mérites du progrès et de la science, de la puissance et de la force, ces témoins vont nous révéler le sens de la faiblesse et de la petitesse. Pour s’adresser au monde, ils ont fait le choix de la petite voie de Nazareth, la voie de la confiance et de l’enfance spirituelle comme l’écrira Thérèse. Ils ont compris que c’est le petit qui rassemble l’humanité et qui reflète les visages de Dieu sur notre terre. Ce siècle qui a voulu être le temps du progrès qui allait libérer l’humanité de l’obscurantisme religieux (« Ouvrons des écoles, disait Jules Ferry en 1882, et nous fermerons les prisons », reprenant une phrase de Victor Hugo ») a été aussi le siècle des Nuits et Brouillards. C’est en contemplant Dieu fait homme à Bethléem et à Nazareth, que ces témoins de la foi ont compris le véritable sens des choses. C’est l’amour qui sauve et non la force. C’est l’amour qui est rédempteur et non la puissance. Au moment où l’homme se faisait Dieu, ils ont contemplé Dieu fait homme en la personne de Jésus.

Ils ont accepté de côtoyer leurs contemporains et de croire au nom de ceux qui ne peuvent croire. Ils ont accepté de se mettre à la table des pécheurs et de vivre une authentique solidarité spirituelle au point de s’offrir en leur nom. Ils ont connu la nuit de la foi et de la souffrance. Ils ont accepté de mener ce combat spirituel contre les forces du mal au point d’en être touchés dans leur être le plus profond. Ils ne sont pas venus pour juger l’histoire mais pour la sauver de son insignifiance. Charles de Foucauld écrira que Dieu se sert des vents contraires pour conduire sa barque au port. L’histoire humaine s’écrit toujours du côté des puissants quand elle s’écrit de manière humaine. Dieu écrit l’histoire du côté des petits, des insignifiants. Thérèse et Charles ont su donner sens à l’infiniment petit, au quotidien le plus banal alors que les hommes découvraient la force nucléaire. Seulement, ce n’est pas l’atome qui sauve le monde, c’est l’amour. Ces témoins, au fond, nous révèlent la force atomique de l’Amour avec un grand A.

Alors que l’humanité entrait dans l’ère du soupçon, ils nous invitent à entrer dans l’ère de la confiance. Dieu répond toujours à la mesure de nos actes de foi. Finalement, ils ont éclairé de leur intuition l’aube du nouveau millénaire. C’est à ce titre qu’ils sont les sentinelles du nouveau millénaire. Ils nous invitent tout simplement à mettre nos pas dans les leurs et à devenir des hommes et des femmes de foi dans ce XXIème siècle naissant.

+ Jean Claude Boulanger

Evêque de Bayeux-Lisieux

Norbert OTERO, Témoignage du mois de Nazareth

Dans cette maison qui nous héberge depuis le 3 novembre 2015, je suis arrivé avec deux Bibles pour mieux meubler mon temps de retraite et approfondir peut-être une relation avec certains textes de l’Ecriture. Ce fut le cas les premiers jours de notre séjour.

Quand est arrivé Bernard COLOMB, pendant le temps de la retraite où il proposait une grille de travail, j’ai senti le besoin de savoir un tout petit peu l’histoire de Charles de Foucauld pour entrer un peu plus en avant dans la retraite, ne serait-ce que pour comprendre la Fraternité où je me trouve.

J’ai donc sollicité l’aide de Michel BECQUART pour la bibliographie. Ce service m’a été rendu avec joie et abnégation… je commençais tout doucement à entrer dans la retraite le soir où je descendais de la bibliothèque avec quelques biographies sur Charles de Foucauld accompagné de Michel. Je laissais donc de côté mes deux bibles comme références principales. Je découvre la littérature de Charles ou sur le Frère Universel, aidé par la retraite.

Je sors de la retraite de plus de 3 semaines avec quatre points :

  • A cause de Jésus et de l’Evangile
  • Le frère Universel
  • La dernière place
  • La prière d’abandon

Etrange histoire tous ces quatre points me conduisant à la Bible.

A cause de Jésus et de l’Evangile

En Marc 10.29 nous lisons la déclaration du Seigneur Jésus « Amen, je vous le dis, nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Evangile, une maison…. Sans qu’il reçoive le centuple. »

« A cause de moi » – la liberté du cœur ne compare rien au Christ.

Et « à cause de l’Evangile » ce mot revêt pour l’évangéliste une très grande importance, car en considérant que Jésus et l’Evangile ne font qu’un, il reprend le débjt de son livre qu’il intitule « Evangile de Jésus Christ, Fils de Dieu » Marc 1.1 Evangile qui n’est pas seulement sur Jésus mais l’Évangélise qui est de Jésus. Il y a plus. Quand le Seigneur ajoute « A cause de l’Evangile » Jésus semble montrer la condition des apôtres et des prédicateurs qui non seulement laissent tout pour lui, mais aussi pour la prédication évangélique, d’une incomparable valeur.

Tel est notre choix à la manière de Frère Charles. Choix du Christ, choix de la prédication évangélique, choix d’une vie qui fait retentir l’Evangile et qui est, comme telle, d’une valeur incomparable.

La prédication de l’Evangile de Jésus, Fils de Dieu, ouvre à la dimension universelle : C’est cette parole qui transforme l’Eglise universelle composée de femmes et d’hommes.

Frère Universel

Le règne de Dieu écrit St Paul aux Romains (14,17) est Justice. Paix et Joie dans l’Esprit-Saint. C’est ainsi que Foucauld était marocain avec ces derniers, algérien avec les algériens, juif avec les juifs, lui le chrétien.

Etre dans l’Eglise ouvre aux dimensions universelles. Je l’ai expérimenté dans mon pays d’origine. A Brazzaville, je quittais Mpila, mon quartier de résidence, pour aller passer quelques jours à Makélékélé-Matour. J’ai goûté cela lors de mes premiers pas en France dans le Nord pour l’accueil qui m’était réservé. J’ai réalisé cela auprès de ma Fraternité de Lyon par des gestes d’amitié. Ici Charles me semble dire : Dieu est le Père de tous tes frères et de toutes tes sœurs en humanité. Accepte que tu sois frère universel et tu le seras, tu le deviendras car Dieu est vraiment ton Père, notre Père.

Tout est grâce et tout est aussi en butte à la fragilité et à lutte, rien n’est jamais parfaitement atteint, en plénitude, sinon dans la vie à venir, la vie éternelle (Mc 10.30)

Dans notre présent monde, Charles m’aide à fixer l’horizon de l’universelle fraternité. Comment y est-il arrivé ?…. peut-être en prenant la dernière place !

La dernière place

Cette dernière place, je la cherche. Je ne la vois pas à Nazareth. Je suis allé à Bethléem où je pensais la trouver, elle n’y était pas. Me voici à Jérusalem. C’est ici que je la trouver cette dernière place au Mont Golgotha où Jésus est fixé sur la Croix…. Oui c’est là la dernière place où le silence est pesant et Dieu a le dernier mot. Le mot de Dieu, c’est le mot de la vie, lequel transforme, suscité le respect, l’admiration et même l’adhésion. Alors ce n’est pas ma croix, ni celle de Foucauld qui occupent la dernière place en premier, mais celle du Christ.

Nous ne pouvons jamais disposer du Règne de Dieu qui est toujours le règne de l’amour gratuit de Dieu et de son inventivité créatrice. Il convient donc d’accepter humblement que Dieu soit toujours le premier ; quand nous pouvons être les premiers, c’est alors que nous devenons les derniers. Comme le Christ, laissons-nous nous abandonner dans les mains de Dieu.

La Prière d’Abandon

Lui Jésus en Croix prie le Père « Père, dit-il, entre tes mains je remets mon esprit » (Lc 23.46)

Charles dans son monde à évangéliser dit au Père « Père, je m’abandonne à toi. Fais de moi ce qu’il te plaira….. je remets mon âme entre tes mains ». Cette attitude, cette prière ouvrent les barrières du cœur, de l’esprit, de l’espérance, et même du temps pour vivre à l’image et à la ressemblance de Jésus. C’est ainsi que Frère Charles dans ses méditations n’a eu de cesse d’écrire comme Jésus.

Comme Jésus, prendre le temps du désert à la lupière de Charles pour mieux goûter la Parole de Dieu qui se manifeste en moi comme devoir.

Est-ce que le désir de cet exercice spirituel va durer dans le temps ? Je ne saurais répondre à cette question aujourd’hui. J’aurai besoin de la prière de tous et de chacun de vous tous, mes frères, pour assurer et assumer ce qui se manifeste en moi à la fois comme un devoir et un droit pour la vie : la journée du désert.

Ici, je comprends mieux le choix de ma Fraternité suggérant à tous ses membre de prendre le temps du désert.

Que cela puisse devenir réalité.

Norbert OTERO